Le courage de dénoncer : Harry Belafonte nous a quitté·es
Le chanteur Harry Belafonte, mort jeudi dernier, était un homme qui avait observé le monde de multiples points de vue, frayant avec les élites tout en restant près de celui qu’on appelle l’homme « ordinaire ».
Pour lui, « chacun de vous a le pouvoir, la volonté et la capacité de changer le monde dans lequel vous vivez ».
Ainsi, la vie que s’est construite M. Harry Belafonte lui a permis de saisir les multiples ressorts de la société et de les critiquer. Cette position unique lui a donné les vertus du sage et de l’activiste dénonçant les injustices qui sont souvent cachées derrière de beaux principes, de belles institutions.
Il a su partager sa lumière afin que le monde prenne conscience de la vie que la société réserve aux Noir·es. Sa position lui a permis de prendre acte du traitement de tou·tes les Noir·es et même de ceux et celles qui ont atteint des sommets.
C’est ainsi que, parlant de Colin Powell, ancien secrétaire d’État américain sous Bush fils, Harry Belafonte a su nous expliquer les dynamiques du pouvoir. « À l’époque de l’esclavage, un vieux dicton disait qu’il y avait des esclaves qui vivaient sur la plantation et d’autres qui vivaient dans la maison. Vous aviez le privilège de vivre dans la maison si vous serviez le maître exactement de la manière dont le maître voulait que vous le serviez. Cela vous donnait un privilège. Colin Powell est autorisé à entrer dans la maison du maître, à condition qu’il serve le maître selon les ordres de ce dernier. Maintenant, lorsque Colin Powell osera suggérer autre chose que ce que le maître veut entendre, il sera renvoyé en pâture. »
« L’oppression se nourrit de compromis. »
Harry Belafonte
Cette réflexion prend tout son sens aujourd’hui, alors que tout le monde parle de « représentativité » en omettant de parler de la justice raciale et de la déconstruction des structures d’oppression. Sans le démantèlement des structures, celui qui dénonce est voué au bannissement.
Une humble sagesse
C’est en septembre 2012, lors de la présentation du film Sing your song, que mon destin a croisé celui de M. Belafonte.
Comme le veut la coutume, une discussion avec les spectateurs a suivi le film. Une belle jeune femme s’est levée pour poser une question. Elle a expliqué que son jeune frère était en train d’échapper à sa famille, il était dans une mauvaise passe. Elle avait peur de le perdre. Peur que la ville ne l’avale comme elle le fait si souvent avec les jeunes Noirs perdus sans espoir.
Dans des villes-dortoirs, si dormantes que pour faire l’aller-retour au centre-ville afin de gagner le salaire minimum, il faut mettre quatre heures. Des villes où un professeur peut utiliser impunément le mot en N en s’adressant à des étudiant·es noir·es. Des institutions qui se permettent de déshumaniser des enfants noirs en les ramenant au temps des plantations, qui n’est jamais bien loin.
Nous avons détruit le mouvement des droits civiques. »
Harry Belafonte
Ce jour-là, la jeune femme a donc demandé conseil au géant des droits de la personne. Avec délicatesse et empathie, cet homme, plus grand que nature, lui a répondu qu’il ne se sentait pas autorisé à prodiguer de conseils. Ce ne serait pas juste, a-t-il dit, car sa vie à lui était faite de circonstances uniques. Il lui a, simplement, suggéré de trouver des ressources locales qui pourraient comprendre la réalité de son frère.
Cette réponse est restée gravée dans ma mémoire pour deux raisons. D’abord, par sa sagesse. Comment peut-on donner des conseils ou encore juger sans connaître intimement le contexte?
Et ensuite, par l’accent mis sur l’importance des ressources locales, adaptées pour les personnes racisées, qui manquaient à l’époque et qui continuent de manquer.
L’essentielle solidarité
Jusqu’à la fin, M. Belafonte continuait de croire que la lutte et la solidarité devaient rester au cœur de l’humanité, comme le rapportait le chroniqueur du New York Times Charles Blow dans son billet « Le discours d’Harry Belafonte qui a changé ma vie ».
« Nous avons cédé à la cupidité. Nous nous sommes abandonnés à nos joies hédonistes. Nous avons détruit le mouvement des droits civiques », regrettait M. Belafonte dans une allocution devant des grands philanthropes en 2013.
« Ceux qui s’accommodent de notre oppression sont les premiers à nous critiquer pour avoir osé nous élever contre elle. »
Harry Belafonte
« En regardant la grande moisson de réalisations que nous avons obtenue, tous les jeunes hommes et femmes de nos communautés se sont enfuis profiter du festin de Wall Street et des grandes entreprises et des opportunités. Et dans cette distraction, ils ont laissé le champ en friche. »
La solidarité est essentielle pour faire progresser les droits des un·es et surtout de ceux que nous appelons les « autres ».
Là-dessus, pas de compromis possible, car « l’oppression se nourrit de compromis » selon Belafonte.
Dénoncer, encore et toujours
Il ne suffit pas d’avoir de la véritable représentativité (par opposition à celle qui n’est que symbolique), encore faut-il avoir le courage de dénoncer ce qui doit l’être.
« Lorsqu’une voix noire s’élève pour protester contre l’oppression, ceux qui s’accommodent de notre oppression sont les premiers à nous critiquer pour avoir osé nous élever contre elle. »
Dénoncer, encore et encore, afin de changer les structures sociales, pour que les demandes de justice des droits civiques deviennent enfin une réalité pour tou·tes, c’est l’un des messages que nous laisse en héritage Harry Belafonte.
Des messages remplis de sagesse et qui ne peuvent que nous donner le courage de marcher dans le chemin qu’il a tracé.