
Le Canada perd plus de logements abordables qu’en crée la Stratégie nationale sur le logement
Trente ans sans investissement fédéral pour le logement social et une nouvelle stratégie nationale centrée sur le marché privé expliquent en grande partie la crise actuelle au Canada.
En dix ans, le Canada a perdu 550 000 logements abordables, alors que la Stratégie nationale sur le logement n’a produit que 115 000 logements depuis 2017, dont la plupart seraient trop chers pour les personnes qui ont des besoins impérieux de logement ou qui sont en situation d’itinérance, d’après le Conseil national sur le logement.
C’est ce qui ressort d’un rapport présenté par le Conseil national du logement (CNL) au ministre fédéral du Logement, avec des recommandations pour améliorer la stratégie du Canada dans ce domaine.
Aujourd’hui, un grand nombre de ménages moins nantis peinent à trouver un logement abordable (avec un loyer de 750 $ par mois ou moins) qui répond à leurs besoins.
Entre les années 1960 et 1990, le gouvernement fédéral investissait des sommes importantes dans le logement, notamment social et communautaire (coopératives, OSBL, HLM), mais il s’est désengagé de ce domaine depuis près de 30 ans.
De plus, la nouvelle Stratégie nationale sur le logement (SNL) centrée sur le logement privé qui a été mise en place par le gouvernement Trudeau pour corriger le tir « n’amélior[e] pas de façon importante l’offre de logements abordables au Canada », conclut le CNL.
« Certains logements se font louer à 2000 $ et sont considérés abordables. »
Denis Trudel, Bloc québécois
En effet, comme les programmes fédéraux sont axés sur le marché privé, malgré un investissement de 70 milliards $ sur dix ans, l’action de la Stratégie nationale sur le logement (SNL) « a eu peu d’incidence sur l’offre de logement adéquat pour les personnes qui en ont le plus besoin », explique Maya Roy, cheffe du groupe de travail du CNL sur le renouvellement de la SNL.
Un secteur hors marché négligé
D’après le rapport, si le Canada avait continué à produire du logement hors marché au rythme qu’il le faisait entre 1966 et 1996, 356 000 logements sociaux supplémentaires auraient pu être créés en date de 2021.
À titre de comparaison, Statistique Canada calcule qu’il y aurait environ 235 000 personnes qui se retrouvent en situation d’itinérance pour une année donnée.
Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD, et Denis Trudel, porte-parole du Bloc québécois en matière de solidarité sociale, vont dans le même sens que le CNL : les trente années sans financement fédéral pour le logement hors marché sont pour beaucoup dans la crise actuelle, estiment-ils aussi.
« Le gouvernement fédéral doit renouveler son engagement en faveur du logement social, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale ».
Alexandre Boulerice, NPD
« Depuis le lancement de la SNL, non seulement on a produit à peine plus de 100 000 logements, malgré un financement dans les milliards $, mais en plus dans les logements créés, certains se font louer à 2000 $ et sont considérés abordables », rappelle par ailleurs le bloquiste Denis Trudel.
L’an dernier, lors de la cinquième année du programme de dix ans de la SNL, la hausse du loyer moyen des logements de deux chambres dans les grandes villes du pays était de 5,6 % : c’est un taux deux fois plus important que la moyenne des 32 dernières années, selon les chiffres de la Société canadienne d’hypothèque et de logement.
Besoin d’un plan fédéral structurant
Denis Trudel pense que pour faire face à la crise actuelle, il faudrait un « plan Marshall » du logement. Alexandre Boulerice, du NPD, a une vision très similaire : selon lui, il faut que « le gouvernement fédéral renouvelle son engagement en faveur du logement social, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale ».
Le bloquiste est critique de l’allocation unique de 500 $ aux locataires les moins fortunés mise en place par le gouvernement Trudeau avec le soutien du NPD. « C’est pas une mesure structurante, il va faire quoi, l’année prochaine, le locataire qui gagne 18 000 par an? »
Par ailleurs, Denis Trudel souligne les conclusions d’un rapport de la Banque Scotia : « il faut construire 3,5 millions de logements au Canada dans les dix prochaines années pour rétablir l’abordabilité », insiste-t-il. Avec les 115 000 logements créés grâce à la SNL, un chiffre qui comprend une majorité de rénovations, « on est loin du compte », conclut le bloquiste.
Mais pour Maya Roy, qui s’appuie sur les consultations avec 400 spécialistes menées par le CNL, l’enjeu va au-delà d’une simple question d’offre et de demande. Pour rétablir l’abordabilité du logement, il faut créer un équilibre en misant aussi sur les logements hors marché.
« On ne peut juste pas construire notre chemin hors de la crise. »
Maya Roy affirme que le ministre du Logement Ahmed Hussein soutient le travail du CNL, mais qu’il n’avait toujours pas répondu au rapport au moment de l’entrevue.
Le Parti libéral et le Parti conservateur n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue.