Photo : Artur Tumasjan
Nouvelle

Réforme de la santé : pour un modèle démocratique, s’inspirer des CPE

Le modèle de gestion de la future agence Santé Québec, calqué sur l’entreprise privée, écarte le personnel soignant et les communautés locales des prises de décision.

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La réforme Dubé du système de santé mise sur une unique agence pour toute la province, accordant plus de responsabilité à une direction centralisée et aux gestionnaires : cela menace de nuire aux conditions de travail, voire aux soins sur le terrain, selon une nouvelle analyse. Pour un mode de gestion qui accorde plus de place à l’autonomie des travailleur·euses et à la démocratie locale, le système de santé pourrait s’inspirer de ce qui se fait déjà dans les CPE.

Le projet de loi 15, déposé en février, vise selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à jeter les bases d’une nouvelle ère d’« imputabilité » dans le système de santé. La réforme crée notamment une nouvelle super-agence « dynamique et simplifiée », Santé Québec, qui devra « coordonner le fonctionnement quotidien du réseau » sous la direction d’un PDG et d’un conseil d’administration « pleinement imputable ».

Dans une analyse publiée jeudi, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) exprime plusieurs réserves quant à cette réforme, jugée excessivement centralisatrice.

« Il n’y a pas énormément de présence d’employé·es ou d’utilisateur·trices dans cette vision du processus de prise de décision », mentionne la chercheuse Myriam Lavoie-Moore, autrice du rapport.

De plus, « on s’inquiète que cette centralisation ne soit pas adaptée aux réalités locales. À Montréal, la différence entre les besoins dans le Centre-Sud et dans Westmount est énorme, sans même parler des particularités des différentes régions du Québec. »

« Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la prise de décision locale, on complexifie les choses, on enlève la possibilité de prendre les décisions sur le terrain et on enlève l’engagement [du personnel et de la communauté]. »

Myriam Lavoie-Moore

Le modèle de l’entreprise privée contre la démocratie

La réforme du ministre Christian Dubé s’inspire de la « nouvelle gestion publique » calquée sur l’entreprise privée, avec notamment « le remplacement des instances politiques et démocratiques par des gestionnaires de formation, la surveillance axée sur des résultats mesurables et la mise en concurrence des organisations », indique le rapport.

Selon le rapport, « loin de corriger la situation, l’ajout d’une agence centralisée comme Santé Québec intensifiera le recours au contrôle hiérarchique et quantitatif, au détriment d’une approche qualitative de l’évaluation des services offerts et de la satisfaction des besoins. »

Myriam Lavoie-Moore craint que la réforme introduise une approche de gestion basée sur les résultats qui néglige des démarches difficiles à quantifier, comme la prévention.

Elle redoute aussi que ce modèle de gestion nuise au moral et à la rétention du personnel en enlevant de l’autonomie aux travailleur·euses sur le terrain.

Enfin, elle estime que la réforme Dubé, en donnant plus de place aux gestionnaires, risque d’accroître les dépenses administratives.

« Loin de corriger la situation, l’ajout d’une agence centralisée comme Santé Québec intensifiera le recours au contrôle hiérarchique et quantitatif. »

Extrait de l’analyse La coproduction des services de santé, IRIS

Pour Myriam Lavoie-Moore, cette nouvelle réforme proposée n’est pas sans rappeler celle qui a été opérée dans le système d’éducation en 2021 avec l’élimination des commissions scolaires au profit des « centres de service » redevables au ministère.

Cette réforme a causé un tel tollé dans la communauté anglophone que le président de la Quebec English School Boards Association (QESBA), Russell Copeman, a déjà évoqué une potentielle contestation en Cour suprême, jugeant que sa communauté perdait le droit de s’impliquer dans la direction de ses propres écoles. Un argument soutenu par le juge Sylvain Lussier de la Cour supérieure du Québec, qui a déclaré que la perte d’autonomie des conseils scolaires locaux anglophones causait du « tort irréparable » à la communauté.

« Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la prise de décision locale, on complexifie les choses […] on enlève la possibilité de prendre les décisions sur le terrain et on enlève l’engagement » du personnel et de la communauté, résume la chercheuse.

Les CPE, un modèle à imiter?

L’IRIS propose un autre modèle pour la réforme du système de santé : celui des centres de la petite enfance (CPE), qui sont gérés au niveau communautaire. « Avec les CPE, nous avons un modèle qui encourage l’implication des familles usagères, avec un conseil d’administration qui détermine les horaires et les priorités, et la directrice met en place les décisions prises par ce conseil », dit-elle, tout en reconnaissant que le système de santé est « plus complexe » que celui de l’éducation à la petite enfance.

Il faudrait créer davantage d’entités de prise de décision au niveau local et « reconnaître la capacité de prise de décision des personnes utilisatrices, des communautés locales et des employé·es sur le terrain », résume Myriam Lavoie-Moore.

Les consultations particulières et les audiences publiques sur le projet de loi 15 se poursuivent jusqu’au 23 mai. Les membres du public peuvent commenter le projet de loi ici.

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