
Le système de retraite laisse la moitié des ainé·es dans la pauvreté au Québec
Les employeurs québécois n’en font pas assez pour assurer que leurs employé·es aient un niveau de vie décent à la retraite, selon une nouvelle étude.
Un nombre inquiétant de retraité·es québécois·es n’arrivent pas à atteindre un niveau de revenu viable et ainsi à se sortir de la pauvreté, selon une nouvelle étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Ses auteur·es suggèrent de forcer les entreprises à contribuer davantage à la retraite de leurs employé·es pour régler une partie du problème.
Au Québec, 53 % des personnes de 65 ans et plus vivant seules n’atteignent pas un niveau de revenu viable leur permettant de se maintenir en dehors de la pauvreté, rapporte l’étude de l’IRIS. Chez les personnes vivant en couple, ce sont 18 % des personnes qui se retrouvent dans la même situation d’après l’analyse.
Ces résultats viennent corroborer une étude précédente qui déterminait qu’environ la moitié des personnes ainées ne disposaient pas d’un revenu viable.
C’est que les programmes publics gouvernementaux comme la pension de Sécurité de vieillesse (PSV), le Supplément de revenu garanti (SRG) et le Régime des rentes du Québec (RRQ) permettent aux retraité·es québécois·es de couvrir leurs besoins de base, mais pas de sortir de la pauvreté, explique Eve-Lyne Couturier, coauteure de l’étude.
« Les régimes publics permettent aux gens de survivre, mais sans plus », observe le président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), Pierre Lynch. « À un moment donné, les gens ont besoin de plus que simplement survivre. Nous sommes un des sept pays les plus riches du monde, on devrait être capable de fournir des retraites décentes. »
L’inégalité devant l’épargne
Le régime de pension québécois prévoit que les retraité·es pourront compter sur des économies réalisées durant leurs années de travail pour ajouter à leur revenu durant leur retraite. Or, l’accès à l’épargne est loin d’être généralisé dans la province, rapporte l’étude.
En fait, seules les personnes disposant des revenus les plus élevés, ainsi que les travailleur·euses ayant accès à un fonds de pension auquel contribuent leurs employeurs, réussissent à épargner suffisamment pour atteindre un niveau de revenu suffisant pour leur retraite, observe Eve-Lyne Couturier.
Ce type de fonds de pension est toutefois devenu de plus en plus rare en dehors du secteur public et des milieux syndiqués depuis le dernier quart du 20e siècle. Cela expliquerait en partie la précarité de nombreux·ses ainé·es, selon l’analyse.
« Les régimes publics permettent aux gens de survivre, mais sans plus. »
Pierre Lynch, AQDR
Si bien qu’en 2021, ce ne sont que le quart des personnes gagnant 30 000 $ et moins par année qui ont pu contribuer à un fonds d’épargne enregistré. Pendant ce temps, la quasi-totalité (94 %) des gens gagnant plus de 250 000 $ l’a fait, rapporte l’étude.
« Les données montrent qu’à partir d’un certain seuil de revenu, les personnes les plus riches ont tendance à avoir des REER, des CELI, un fonds de pension, une ou même deux maisons, alors que les travailleur·euses au salaire minimum n’ont rien de tout ça », explique Mme Couturier.
L’échec des RVER
Le gouvernement du Québec a bien tenté de pallier la tendance en 2013 en créant les régimes volontaires d’épargne retraite (RVER), un programme qui oblige les compagnies de plus de cinq employé·es à leur offrir des régimes de retraite.
« On a juste mis en place des structures pour déresponsabiliser les employeurs et laisser le fardeau à la responsabilité individuelle. »
Eve-Lyne Couturier, IRIS
Mais cela n’a pas changé la tendance, observe Eve-Lyne Couturier. Selon elle, la majorité des régimes ainsi mis en place sont de mauvaise qualité, car ce sont des régimes individuels, soumis aux règles du marché et où les employeurs ne cotisent généralement pas. Ils ont donc un rendement bien inférieur aux fonds de pension des grandes entreprises syndiquées ou du secteur public.
« On a juste mis en place des structures pour déresponsabiliser les employeurs et laisser le fardeau à la responsabilité individuelle », remarque Eve-Lyne Couturier.
Un régime mutuel inter-employeur
Devant cette situation, l’IRIS propose donc de remplacer les RVER par un nouveau régime qui permettrait à la fois d’assurer une retraite adéquate à la majorité des travailleur·euses, mais aussi de faciliter le transfert de celui-ci d’un employeur à l’autre. Un tel programme forcerait les employeurs à contribuer une partie des sommes et pourrait être géré par un organisme indépendant tel que la Caisse de dépôt et placement pour en assurer une saine gestion.
« La force d’un régime de retraite de qualité, c’est la mutualisation, c’est de mettre ensemble des jeunes, des vieux, des gens qui vont travailler encore longtemps et des gens à la retraite et tout le monde ensemble, on est capable de garantir des revenus. C’est impossible d’y arriver avec juste une entreprise de cinq employé·es, mais en mettant les entreprises ensemble, on y arriverait, » résume la chercheuse.
Une telle solution est d’ailleurs en vigueur au Danemark, un des pays dans le monde qui offre un des meilleurs niveaux de revenu et un des taux d’inégalités entre retraité·es les plus faibles au monde, relève l’IRIS.
Ne pas oublier les plus vulnérables
Du côté de l’AQDR, on accueillerait bien sûr une telle mesure avec enthousiasme, mais Pierre Lynch rappelle qu’elle ne ferait que très peu pour les gens déjà à la retraite, ainsi que pour les nombreuses personnes qui n’ont pas pu travailler toute leur vie – souvent des femmes. En effet, avec un tel régime de retraite, même mutualisé, les sommes accumulées demeurent liées au salaire gagné et au nombre d’années travaillées.
« L’enjeu, c’est de pouvoir offrir une retraite digne, entre autres à des gens qui ont travaillé toute leur vie au salaire minimum. »
Pierre Lynch
C’est pourquoi l’association préconise aussi d’utiliser des mesures fiscales ciblées pour venir en aide rapidement aux personnes qui en ont le plus besoin. Celles-ci doivent toutefois être « régressives » pour être efficaces, soit diminuer progressivement en fonction du revenu, remarque Pierre Lynch.
« L’enjeu, c’est de pouvoir offrir une retraite digne, entre autres à des gens qui ont travaillé toute leur vie au salaire minimum », souligne-t-il. « On a tous profité des bas salaires [de ces travailleur·euses] : tout le monde a acheté des biens à des coûts moindres que s’ils avaient été syndiqués et avaient eu des salaires supérieurs. Au moment où ils arrivent à la retraite, il faut retourner l’ascenseur », conclut-il.