
Budget fédéral : les libéraux abandonnent la transition énergétique au secteur privé
La stratégie de décarbonation de l’économie canadienne présentée dans le budget s’en remet aux marchés et à l’expertise du secteur privé pour atteindre ses objectifs.
Le budget fédéral présenté par la ministre des Finances Chrystia Freeland met les entreprises canadiennes au cœur de l’effort de réduction des émissions de gaz à effets de serre. Ce faisant, le budget finance massivement la « capture du carbone » et la production d’hydrogène « vert », même si ces avenues sont critiquées par de nombreux·ses expert·es.
Le gouvernement prévoit accorder 80 milliards $ d’ici 2034 en investissements et en crédits d’impôt pour la transition énergétique. Seulement pour les cinq prochaines années, ce sont 18,4 milliards $ en nouvelles mesures qui s’ajoutent aux sommes annoncées dans les exercices budgétaires précédents.
« C’est beaucoup d’argent, mais en même temps, ce que le gouvernement propose, c’est de laisser les entreprises prendre le volant de l’action climatique », remarque Hadrian Mertins-Kirkwood, du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA).
Selon lui, le gouvernement se contente ainsi de créer un écosystème favorable aux investissements verts, en se fiant aux entreprises pour fournir l’expertise et les compétences pour exécuter le plan et en déterminer les détails. « Le problème c’est que si le secteur privé ne répond pas aux attentes, on aura perdu beaucoup de temps et d’argent », s’inquiète-t-il.
Selon un haut fonctionnaire du ministère des Finances, le pays aura besoin d’en moyenne 60 à 140 milliards $ d’investissements par année pour réaliser son objectif de carboneutralité d’ici 2050, ajoutant qu’« il incombera au secteur privé d’effectuer la majorité de ces investissements ».
4,6 milliards $ sur 5 ans pour la capture du carbone
Le gouvernement viendra entre autres bonifier le crédit d’impôt pour les mesures de captage, d’utilisation et de stockage du carbone, de 520 millions $ supplémentaires au cours des cinq prochaines années, venant porter le coût total du programme pour la période à 4,6 milliards $.
À ce montant, il faut ajouter les subventions directes accordées pour la mise en place de ces programmes, notamment à travers la Banque de l’infrastructure du Canada. Le montant total de ces investissements n’est pas précisé dans le budget, mais un haut fonctionnaire du gouvernement confie que les investissements publics dans ces technologies pourraient atteindre 15 milliards $ d’ici 2050.
La capture du carbone, qu’est-ce que c’est?
Les technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone sont un ensemble de techniques qui permettent de capter une partie des émissions de CO2 sur les sites de production puis de l’entreposer sous une forme ou une autre. L’industrie pétrolière et gazière prévoit en faire la mesure centrale de ses plans de réduction des émissions de gaz à effets de serre.
Toutefois, ces mesures de « captage du carbone » ne fonctionnent pas, du moins pas à grande échelle, rappelle Colin Pratte, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). « En ce moment, l’entièreté du carbone capturé dans le monde n’équivaut pas à la moitié des émissions du Québec, et on ne parle même pas du défi que représente le stockage à long terme », explique-t-il.
De son côté, Hadrian Mertins-Kirkwood croit que la capture du carbone pourrait jouer un rôle, pourvu qu’elle soit utilisée convenablement. « Si on déploie la capture du carbone pour réduire les émissions d’une fonderie qui produit de l’acier destiné à des éoliennes, c’est bien, mais si on l’utilise pour aider les entreprises des sables bitumineux à s’adapter aux normes internationales et continuer à exporter leur pétrole, ce n’est pas la même histoire », illustre-t-il.
Pour Colin Pratte, investir dans la capture du carbone est d’abord et avant tout une manière de continuer à subventionner l’industrie pétrolière canadienne de façon détournée. « On cherche à pérenniser une industrie qui est pourtant appelée à disparaitre dans un avenir proche », rappelle-t-il.
5,6 milliards $ pour l’hydrogène
Une autre des mesures « environnementales » qui bénéficiera plus à l’industrie des combustibles fossiles qu’à l’environnement est le crédit d’impôt accordé pour le développement de la filière de l’hydrogène, remarque Hadrian Mertins-Kirkwood. Ce crédit coûtera 5,6 milliards $ au cours de la prochaine année.
« Le seul argument convaincant pour développer cette filière est que l’industrie des combustibles fossiles nous fournit déjà les infrastructures nécessaires à son déploiement. C’est difficilement tenable comme argument environnemental », souligne M. Mertins-Kirkwood.
« Le problème c’est que si le secteur privé ne répond pas aux attentes, on aura perdu beaucoup de temps et d’argent. »
Hadrian Mertins-Kirkwood, CCPA
Des mesures intéressantes pour les travailleur·euses
Selon Chrystia Freeland, le plan environnemental décrit dans son budget permettra en plus d’assurer des emplois intéressants pour la classe moyenne. Pour s’en assurer, certaines des mesures sont accompagnées de conditions pour assurer que les compagnies qui en profiteront rémunèrent et forment convenablement leurs travailleur·euses.
« S’il y a un point intéressant dans ce budget, c’est celui-là, même s’il faut noter que ça ne s’applique qu’à quelques mesures, dont celle sur l’hydrogène », souligne Hadrian Mertins-Kirkwood.
Il déplore aussi que le gouvernement n’ait pas profité de l’occasion pour ajouter des conditions qui auraient permis d’assurer une meilleure représentation de la diversité au sein des travailleur·euses de l’industrie énergétique canadienne. « Pour l’instant, le secteur énergétique emploie presque exclusivement des hommes blancs nés au Canada et la situation ne devrait pas changer de sitôt », conclut-il.