Les yeux grands ouverts, débusquons l’universalisme

En cette Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, faisons face à l’universalisme les yeux grands ouverts.

L’universalisme prend sa source dans la philosophie des Lumières, qui valorise la liberté individuelle comme valeur universelle, droit inaliénable de l’homme. Aujourd’hui, on braque l’éclairage sur les Lumières tout en ignorant leurs failles et les spectres qui y sommeillent.

Il faut connaitre l’histoire et surtout ses silences.

Ainsi, dans leurs fondements, les Lumières souffrent d’une malformation génétique qui est une contradiction avec leurs préceptes.

Lorsque la philosophie des Lumières était à son apogée, l’asservissement capitaliste systématique des esclaves noir·es était à son zénith. Comment oublier que l’universalisme a justifié l’exploitation de millions d’esclaves catégorisé·es comme étant exclus de l’humanité « universelle »?

Sans parler des Autochtones qui pouvaient, dans l’esprit des philosophes éclairés, faire l’objet d’extermination ou même de génocide.

Cette lecture du monde ne démontre-t-elle pas que le ver est dans le fruit? À qui donc s’adresse ce présumé universalisme? En vertu des Lumières, n’est pas humain qui veut.

L’homme des Lumières, celui qui bénéficie naturellement des droits et libertés, c’est l’Européen et son successeur contemporain : l’homme blanc.

Les Lumières, c’est d’abord et avant tout l’expression du pouvoir. Celui de nommer, de catégoriser, de privilégier ou de faire taire les voix.

Le contrat social est un contrat racial

Pour Charles W. Mills, « la suprématie blanche est le système politique innomé qui a fait du monde moderne ce qu’il est aujourd’hui ». C’est un système complexe voulant que les valeurs culturelles et les normes des peuples d’origine européenne (blancs) soient supérieures à celles des autres peuples.

L’homme des Lumières, celui qui bénéficie naturellement des droits et libertés, c’est l’homme blanc.

Pour Mills, bien qu’il fasse appel à la notion d’universalisme développée par les philosophes des Lumières, le contrat social est intrinsèquement racisé puisqu’il exclut les Noir·es (et plus largement les personnes racisées et les Autochtones).

Ainsi, le contrat social est véritablement un contrat racial.

L’universalisme comme aveuglement volontaire

Les universalistes d’aujourd’hui le sont souvent aux dépens de ceux qui souffrent des inégalités bien réelles. Paradoxalement, ces inégalités sont un legs de cette présumée « universalité » qui a divisé le monde afin de pouvoir accaparer des corps et des ressources tout en niant l’humanité de « non-Européen·nes ».  

En brandissant l’universalisme pour faire taire les demandes particulières légitimes, on fait preuve d’une injuste cécité. Ainsi, on ignore les subterfuges qui ont permis la construction sociale de la « race », du racisme, de la racialisation et du racisme systémique.

Pour que l’universalisme ait un sens, il doit devenir réellement universel.

Aujourd’hui, cette vision tronquée de l’universalisme ne peut nous éclairer. Nous ne pouvons plus faire preuve d’aveuglement volontaire.

Les tenants de l’universalisme ont eu beau vouloir préserver les silences de l’histoire, les squelettes ne disparaitront plus dans des placards. Car celles et ceux qui, trop longtemps, se sont tu·es, las·ses d’être les boucs émissaires de système qui ignore leur droit, ont décidé de lever le voile sur ces effacements de l’histoire.

Pour que l’universalisme ait un sens, il doit s’amender pour devenir réellement universel, inclusif de toute l’humanité.

L’universel contre les wokes

Martin Luther King Jr disait qu’« il n’y a rien de plus dangereux que l’ignorance sincère et la stupidité de conscience ». C’est cette ignorance que dénoncent celles et ceux qui réclament la justice sociale et raciale, surnommé·es « wokes » avec mépris par certains membres de la société qui s’octroient le pouvoir de détourner les choses.

Ces porte-voix de l’ordre établi diffusent un discours selon lequel les demandes de justice sociale et raciale vont à l’encontre de l’intérêt d’une nation, dont seraient exclu·es les wokes. On prétend qu’ils et elles sont antipatriotiques, déconnecté·es, élitistes, travaillant activement contre les intérêts du peuple québécois.

Ce sont les wokes qui demandent la véritable réalisation des Lumières.

Pourquoi crie-t-on aux wokes, comme on crie au loup, alors que ce sont eux qui demandent la véritable réalisation des Lumières? Ils et elles critiquent les idées et les institutions afin d’exposer leurs faiblesses.

Or, leurs critiques sont converties en dissidence, car elles osent remettre en question l’universalisme ainsi que le mythe d’une société exempte de racisme systémique.

Ceux et celles qui ont le courage de révéler les angles morts de la société sont confronté·es à des forces qui mettent tout en œuvre afin de maintenir le statu quo, source de privilèges.

L’évolution de toute société exige des remises en question sur plusieurs plans. Les solutions d’hier ne peuvent être celles de demain. Le maintien du statu quo a pour conséquence que, souvent, on ferme les yeux au lieu de bâtir un monde meilleur.

Regarder les choses en face

Ignorer une critique fondée sur des faits au nom de grands principes, même les plus nobles, c’est se comporter comme le singe qui se bouche les oreilles, se ferme les yeux et se tait.

Notre démocratie exige plus de nous tou·tes. La seule façon de régler les problèmes, c’est de les nommer et de leur faire face.

Des changements de gouvernance s’imposent, des données ventilées tenant en compte les différences et les inégalités devront être compilées et analysées afin que les promesses des Lumières, soit la liberté et l’égalité, ne restent pas lettre morte et se réalisent enfin.

La sagesse exige le courage d’affronter le monde sans faux-fuyants et de regarder les choses en face, les yeux grands ouverts.