Consommation d’électricité : faire la morale aux moins nanti·es

Les débats entourant le projet de loi 2, visant notamment à plafonner l’indexation des tarifs domestiques d’Hydro-Québec à 3 %, et la publication récente de L’État de l’énergie au Québec 2023 ont ramené sur la place publique la question des tarifs d’électricité.

Dans les médias, on a parlé d’« obésité énergétique » et même d’« ébriété énergétique ». Si le niveau élevé de consommation d’énergie au Québec s’explique par le transport, les bâtiments commerciaux et résidentiels et la grande industrie, il s’est tout de même trouvé bien des commentateurs pour mettre la faute sur les « bas » tarifs d’Hydro-Québec pour les consommateurs résidentiels.

Quand il faut choisir entre se chauffer ou manger…

Blâmer le « faible » coût de l’électricité pour expliquer le haut niveau de consommation d’énergie, c’est sous-entendre que les ménages québécois utilisent l’électricité sans compter pour toute sorte d’usages farfelus.

Pourtant, quand on regarde d’un peu plus près ce qu’il se passe sur le terrain, on se rend vite compte que c’est très loin de la réalité. Dans les faits, au Québec, 16 % des ménages sont en situation de précarité énergétique. Autrement dit, un ménage sur sept a de la difficulté à avoir l’énergie nécessaire pour la satisfaction de ses besoins de base dans son logement, ou y arrive au détriment d’autres besoins essentiels.

Les ménages les moins bien nantis ont déjà de la difficulté à payer leur facture.

Et ce nombre risque fort de croître, car le coût de l’énergie augmente plus rapidement que la capacité de payer des familles.

On ne sait plus comment le dire : consommer de l’électricité, ce n’est pas un choix! C’est essentiel pour se chauffer, manger, se laver, être en bonne santé, travailler et étudier.

Les conséquences de vivre dans un logement trop froid ou trop chaud peuvent être très graves. Rappelons-nous l’été 2018 où la chaleur extrême aurait causé 66 décès sur l’île de Montréal.

L’électricité n’est pas une marchandise

Entre pointer du doigt les bas tarifs et proposer qu’on les augmente pour réduire la consommation, il n’y a qu’un pas… que de nombreuses personnes franchissent.

Pourtant, la consommation d’électricité présente une élasticité très faible. Parce qu’elle est un service essentiel et non une marchandise comme une autre, une variation du prix de l’électricité n’est pas suivie d’une variation de la quantité d’électricité consommée. Les familles québécoises n’ont pas nécessairement la possibilité de réduire leur consommation d’énergie.

Les hausses de tarifs sont les mêmes pour tous les clients résidentiels, riches ou pauvres. Les augmenter encore plus aura des conséquences terribles pour les ménages à faible revenu. Les ménages à faible revenu sont ceux qui consacrent la plus importante partie de leur consommation d’électricité au chauffage, car beaucoup d’entre eux vivent dans des logements mal isolés. Ils n’ont pas ou très peu de possibilité d’améliorer l’efficacité énergétique de leur habitation.

Le coût de l’énergie augmente plus rapidement que la capacité de payer des familles.

On paie notre électricité moins cher qu’ailleurs. Et alors? Ce discours trop souvent entendu ne change rien au fait que les ménages les moins bien nantis ont déjà (et depuis longtemps) de la difficulté à payer leur facture.

Si l’on veut réduire la consommation d’énergie dans le secteur résidentiel, augmenter les tarifs ne sert à rien. Il faut plutôt s’attaquer à l’amélioration de l’enveloppe thermique des bâtiments. À l’heure actuelle, la priorité est de garantir l’accès à suffisamment de chauffage pour assurer santé et confort à tous et toutes.

N’y a-t-il pas quelque chose d’indécent à demander à des personnes en situation de précarité énergétique de participer à l’effort de réduction de la consommation d’énergie alors que la plupart d’entre elles adoptent déjà des comportements de restriction et que pour leur santé, elles auraient même besoin de consommer plus d’énergie?

Avant de faire la morale aux familles, il faudrait s’assurer qu’elles puissent répondre à leurs besoins de base.

Émilie Laurin-Dansereau est conseillère budgétaire à l’ACEF du Nord de Montréal.