La discrimination raciale est omniprésente pour les employé·es noir·es des institutions publiques, et on s’attend qu’ils et elles se plient à la loi du silence, au nom d’un devoir de « loyauté » envers leur employeur. Mais se faire lanceur·euse d’alerte, n’est-ce pas la véritable loyauté?
Même si un grand nombre de Canadien·nes souffrent de daltonisme collectif et aiment penser que le racisme est de l’histoire ancienne au Canada et au Québec, tel n’en est pas le cas. Les révélations récentes d’employé·es (actuel·les et passé·es) de la Ville de Montréal montrent des cas de harcèlement psychologique de nature négrophobe que subissent régulièrement les travailleur·euses noir·es. En effet, en début de semaine, une trentaine d’employé·es racisé·es de la Ville de Montréal ont dénoncé avoir été victimes de propos racistes et de harcèlement par leurs collègues.
Les récents articles démontrent clairement comment le racisme systémique et direct ainsi que le harcèlement psychologique au travail – déjà décrits concernant Montréal-Nord dans le rapport Soares de 2021 – sont subis par des employé·es noir·es dans plusieurs arrondissements et unités de la Ville de Montréal.
Il est indéniable que les employé·es noir·es vivent les défis du travail et de la carrière différemment de leurs collègues blanc·hes.
Les travailleur·euses noir·es font régulièrement face à des micro-agressions raciales de la part de leurs collègues blanc·hes, mais parfois sans que ces dernier·ères s’en rendent compte, comme le confirment les révélations des derniers jours. Ces cas de racisme anti-noir consistent en des enchaînements de propos et d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux sur la santé physique et mentale de ces employé·es, les brisant psychologiquement.
Plus généralement, encore, il est indéniable que les employé·es noir·es vivent les défis du travail et de la carrière différemment de leurs collègues blanc·hes. Ils et elles doivent souvent travailler plus dur pour les mêmes rôles, se sentant obligé·es de faire moins d’erreurs. Les employé·es noir·es sont souvent sous-payé·es et sous-évalué·es pour leurs contributions et font quotidiennement face à de petits et grands obstacles qui ont une incidence sur leur carrière et sur leur simple capacité à gagner leur vie.
C’est cette réalité que vient nous rappeler l’action collective actuellement menée par des fonctionnaires noir·es contre les pratiques discriminatoires dans l’administration fédérale.
La « loi » du silence
La peur des employé·es, qui peinent à dénoncer les injustices subies à cause de leur devoir de loyauté, m’a fait souvent penser à la loi de l’« omerta » que j’ai connue durant ma carrière comme policier.
L’omerta est un code de silence des groupes criminalisés de l’Italie méridionale, qui exige le silence en réponse aux interrogations des autorités ou des personnes extérieures. Cette loi du silence demande aussi l’ignorance volontaire et l’évitement général de l’interférence avec les activités illégales d’autrui, impliquant ne pas contacter les autorités lorsqu’on a connaissance de certains crimes ou même lorsqu’on en est victime.
L’obligation de loyauté n’est pas illimitée et tou·tes les salarié·es bénéficient du droit à la liberté d’expression.
Cette sorte de mur du silence se retrouve aussi dans les institutions publiques, incluant la police, et est souvent confondu avec le devoir de réserve et l’obligation de loyauté de l’employé·e envers son employeur.
Bien que l’obligation de loyauté soit de l’essence du contrat de travail, elle n’est pas illimitée et tou·tes les salarié·es bénéficient du droit à la liberté d’expression consacré par les Chartes canadienne et québécoise.
Malheureusement, les institutions publiques utilisent bien trop souvent cette « obligation de loyauté envers l’employeur » pour museler les employé·es, en brandissant comme épée de Damoclès au-dessus de leur tête la menace de congédiement pour tout manquement à cette « loi du silence » soi-disant obligatoire.
Lancer l’alerte
Cependant, un examen de la jurisprudence rendue au cours des dernières années démontre que dans certaines circonstances particulières, un seul ou plusieurs salarié·es pourront dénoncer, sous l’égide du syndicat ou non, une situation qu’ils et elles jugent inacceptable. Ces personnes deviennent ainsi des « courageux lanceur·euses d’alertes ».
Les universitaires américaines Near et Miceli ont montré, au cours de leurs recherches, que le souci premier des lanceur·euses d’alerte est de voir corriger un comportement non éthique afin que son organisation puisse poursuivre sa mission. Ils et elles n’ont pas la volonté de nuire à leur entreprise, mais plutôt de la servir.
Cependant, en se référant à la mission et aux valeurs prônées par leur employeur tout comme au cadre légal imposé, les lanceur·euses d’alerte ne peuvent pas se taire face à des pratiques illégales, illégitimes ou immorales. Leur loyauté va tout à la fois à la mission de l’employeur comme à la société entière, puisqu’ils et elles ne sauraient faire défaut à l’engagement pris auprès d’elle, surtout lorsqu’il est question des institutions publiques.
Les lanceur·euses d’alerte n’ont pas la volonté de nuire à leur entreprise, mais plutôt de la servir.
Rappelons qu’en 2018, plus de 22 000 Montréalais·es avaient signé la pétition réclamant la tenue d’une consultation sur le racisme et la discrimination systémique. Sans cette initiative citoyenne, cette consultation n’aurait sans doute pas eu lieu.
Précisons cependant que ces consultations concernaient les services fournis à la population de Montréal par ses institutions, et non ce qui se passe à l’intérieur même de ces institutions pour les employé·es racialisé·es. Selon mes sources, à l’époque, on aurait rappelé aux employé·es leur « devoir de réserve » et de « loyauté envers l’employeur » pour décourager tous commentaires qui auraient pu nuire à la bonne réputation d’« employeur hors pair » de la Ville de Montréal.
En vérité, la capacité des institutions publiques à remplir leur mission et leur résolution à affronter le racisme qui les imprègne sont deux facettes d’une même question.
Vraisemblablement, malgré ce qu’affirme avoir accompli la Commissaire sur le racisme systémique et la discrimination au cours des deux dernières années, la négrophobie envers les employés·es noir·es de la Ville de Montréal persiste, voire même s’amplifie.
Le courage des lanceur·euses d’alerte est peut-être le début du changement systémique que tous les Montréalais·es ont exigé il y a près de cinq ans maintenant.
On ne peut parler de « diversité et inclusion » sans s’attaquer de front au « racisme » et à la « discrimination »! À la limite de son devoir de loyauté, l’employé·e a toujours le droit d’exiger le respect et la dignité.