Avez-vous déjà entendu parler de Sauvegarde et de TooGoodToGo? Ces deux applications anti-gaspillage ont le potentiel de révolutionner la guerre contre le gaspillage alimentaire au Québec. Un peu comme Renaissance qui a rendu l’achat en seconde main attractif et Communauto qui ouvre la voie de l’autopartage.
Le fonctionnement est facile et efficace : vous et moi pouvons acheter les invendus alimentaires des restaurants, des boulangeries et autres épiceries pour une fraction du prix, via une application gratuite pour téléphone intelligent.
Voilà, aussi simple que cela.
Terres agricoles cultivées pour nourrir la poubelle, consommation d’eau et transport inutiles, dollars jetés à l’enfouissement… L’impact social et environnemental du gaspillage alimentaire est immense. Lutter contre ce fléau fait donc décidément partie de mon palmarès des grands petits gestes individuels, comme manger végétal plus souvent (voire tout le temps) et faire de l’auto-solo le moins souvent possible (voire plus du tout).
Pour réduire le gaspillage alimentaire, il y a d’un côté Sauvegarde, une entreprise montréalaise lancée en septembre 2021 qui ne cache pas son ambition de s’étendre un jour à tout le Canada. De l’autre, l’entreprise TooGoodToGo, un gros joueur actif depuis 2015 et présent dans 17 pays, dont au Québec depuis novembre 2021.
Toutes deux visent les mêmes clients, à savoir tous les types de commerces alimentaires : épiceries, dépanneurs, boulangeries et restaurants, du plus grand au plus petit. (Il existe aussi certaines autres applis, comme FoodHero, qui se rattachent exclusivement à certaines chaines d’épiceries et ne prétendent pas couvrir tout type de commerces alimentaires.)
Alors, laquelle de ces deux applis mérite l’Oscar de la meilleure solution environnementale?
L’entraide plutôt que la concurrence
Johny Saliby, le fondateur de Sauvegarde, m’a confié avoir vu d’un bon œil l’arrivée de TooGoodToGo au Québec, puisque ce mastodonte international a permis de faire parler davantage du gaspillage alimentaire et de l’importance des applis anti-gaspi comme Sauvegarde. Un effet boule de neige très positif selon Nicolas Dot, le spécialiste en marketing et communication de TooGoodToGo.
Ces bons mots d’une appli envers l’autre cachent un constat déprimant : le fléau du gaspillage alimentaire est si grand qu’il y a largement de la place pour les deux applis… Selon un rapport de l’organisme canadien Deuxième récolte en 2022, « 96 % des surplus alimentaires ne sont pas récupérés et redistribués aux fins de consommation humaine », avec 9 millions de tonnes de nourriture gâchée chaque année.
Lutter contre ce fléau fait décidément partie de mon palmarès des grands petits gestes individuels.
Pour vous donner une autre idée de grandeur, une étude parue en 2019 estime que, chaque année, les ménages canadiens gaspillent 85 kg de nourriture, ce qui équivaut à plus de 930 $ dans la poubelle et à près de 1 200 kg de CO2 rejetés dans l’atmosphère.
TooGoodToGo et Sauvegarde ne travaillent toutefois pas dans les mêmes ordres de grandeur. Par exemple, depuis son lancement québécois, TooGoodToGo affirme avoir sauvé plus de 272 000 tonnes de nourriture au Québec, soit 681 tonnes d’équivalent CO2 évitées. Sauvegarde estime avoir sauvé 5,3 tonnes de denrées alimentaires de la poubelle, soit 8,5 tonnes d’équivalent CO2 évitées.
Travailler pour ne pas exister
Des deux bords, les porte-paroles ont eu des propos étonnants pour des entreprises privées : leur vision à long terme est de ne plus exister. M. Saliby voit son application comme une « patch » pour diminuer l’hémorragie. Son objectif ultime est, comme TooGoodToGo, de contribuer à mettre définitivement un terme au gaspillage de ressources alimentaires.
Cette vision est toutefois encore loin de se concrétiser, même si chaque transaction sur les applis permet de s’en approcher.
Attention à la récupération
Un point toutefois suscite ma vigilance.
Du côté de TooGoodToGo, l’utilisation de l’appli n’est pas gratuite pour les marchands et le prix des paniers est fixe et modique, soit le tiers de la valeur marchande. Sauvegarde est plus clémente avec les commerçants, puisqu’ils ne doivent pas payer de cotisation annuelle et qu’ils sont libres de déterminer le prix de leurs invendus.
En apparence, cette liberté peut jouer en faveur de Sauvegarde et, je pense, inciter davantage de marchands à faire le pas vers une appli anti-gaspi qui a le bon goût d’être locale.
Toutefois, je demeure prudente à mesure que l’appli deviendra populaire, en particulier auprès des grosses franchises. Réduire le gaspillage alimentaire passe par une réduction de la surproduction et de la surconsommation. Or, en offrant un filet de sécurité aux marchands pour qu’ils écoulent leurs stocks d’invendus sans trop de perte financière – surtout s’ils peuvent fixer le prix librement – il existe un risque, je pense, d’effet pervers.
En effet, pourquoi ne pas commander autant – voire davantage – et refiler les excédents à prix coûtant à une appli anti-gaspi, tout en se donnant ainsi une figure de bon joueur?
Au final, réduire le gaspillage alimentaire passe par une réduction de la surproduction et de la surconsommation.
Il me semble donc qu’en faisant supporter un petit risque de perte financière aux marchands, le modèle de TooGoodToGo a le potentiel de les inciter davantage à estimer plus justement les besoins réels.
Et le gagnant est…
Vous l’avez compris : les deux! En tant que consommateur·trice, vous avez intérêt à élargir votre choix anti-gaspi. En tant que marchand, vous avez aussi intérêt à diminuer vos pertes, faire connaître vos produits et, évidemment, rejoindre la guerre contre le gaspillage alimentaire.