Les gaz à effets de serre (GES) émis pour chaque dollar de richesse diminuent, selon une analyse de l’Institut climatique du Canada. Malgré ces gains en « efficacité carbone » de l’économie, si la tendance se maintient, le pays devrait manquer sa cible de réduction des GES pour 2030, car une bonne partie des efforts sont annulés par la croissance économique.
L’économie canadienne a produit 691 mégatonnes (Mt) d’équivalent de CO2 en 2021, en augmentation de 18,7 Mt par rapport à 2020. C’est ce que révèlent les estimations préliminaires des émissions nationales pour 2021, calculées par l’Institut climatique du Canada.
Les Canadien·nes avaient pourtant réduit l’intensité de leurs émissions en améliorant leur efficacité énergétique, en remplaçant des sources d’énergie polluantes et en décarbonant des procédés industriels. Ils ont ainsi amélioré leur efficacité carbone, pour une diminution des émissions de GES de 13,8 Mt. Ces gains ont toutefois été plus qu’effacés par la reprise économique post-pandémique, qui a ajouté 32,5 Mt au bilan.
La tendance des émissions de GES du Canada sur cinq ans demeure toutefois à la baisse (-24 Mt en 2021 comparé à 2016). L’Institut prévoit que l’économie canadienne devrait parvenir à réduire son poids carbone d’un autre 98,9 Mt d’ici 2030, pour un total annuel de 589 Mt d’équivalent de CO2. Mais cela reste insuffisant pour atteindre les objectifs de réduction canadiens, qui visent à limiter les émissions à 440 Mt.
« Je crois qu’on s’en va dans la bonne direction, du moins nous sommes dans une meilleure position que celle où nous étions il y a quelques années », constate la chercheuse de l’Institut climatique Anna Kanduth. Selon elle, les mesures mises en place par les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral durant les dernières années se font déjà sentir et devraient permettre de poursuivre les gains en efficacité carbone de l’économie.
Une croissance verte, vraiment?
Cette vision est toutefois nuancée par Yves-Marie Abraham, professeur à HEC Montréal et chercheur associé au groupe de recherche sur la décroissance Polémos.
Il note entre autres que l’analyse se concentre sur les GES produits au Canada, plutôt que ceux qui y sont consommés, écartant ainsi les produits importés et les émissions qui y sont reliées. Or, notre économie reposant fortement sur des activités industrielles, agricoles et minières menées à l’étranger, nos gains en efficacité carbone doivent être nuancés.
« On croit souvent être capable de dépasser certaines les limites à la croissance économique, mais bien souvent on ne fait que les déplacer », remarque-t-il.
Il rappelle aussi que les gains en efficacité mènent souvent les producteurs comme les individus à réinvestir ce qu’ils ont économisé, annulant ainsi ce qui avait été gagné. Par exemple, l’achat d’une voiture consommant moins d’essence peut encourager son propriétaire à l’utiliser plus ou même à aller habiter en banlieue, tout comme un industriel qui améliore ses processus peut produire plus et maintenir son bilan carbone.
« N’oublions pas que l’efficacité est un puissant moteur de croissance économique », souligne Yves-Marie Abraham.
Les gains en efficacité mènent souvent à réinvestir ce qui a été économisé, annulant ainsi ce qui avait été gagné.
Pour lui, la réduction de l’intensité des émissions de GES de l’économie laisse tout de même présager qu’une véritable transition écologique est possible, pour autant qu’on accepte de laisser de côté la croissance économique.
Un changement qui pourrait être ardu, car les grandes entreprises et leurs actionnaires, qui sont les principaux bénéficiaires de la croissance, sont très influent·es dans nos sociétés et influencent la prise de décisions. Il faudra donc leur faire contrepoids, et ce rapidement, prévient-il.
D’autant plus que le gouvernement travaille présentement sur deux politiques, la norme d’électricité propre et le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier qui pourraient, selon Anna Kanduth, avoir un énorme impact sur les émissions du pays dans le futur.