Turquie : retour sur un séisme politique

La gestion du séisme par les autorités a encore une fois mis en lumière les injustices sous le régime autoritaire d’Erdogan, qui touchent particulièrement les jeunes générations.

Le 6 février dernier, Halime était de passage dans son pays natal, la Turquie. De retour à Montréal où elle étudie, elle raconte comment elle a vécu le séisme qui a fait plus de 41 000 morts.

Le 6 février dernier, cela faisait deux jours que Halime* avait quitté Montréal, où elle étudie depuis trois ans, pour retourner dans son pays natal, la Turquie. La jeune femme dans la vingtaine avait prévu de rendre visite à sa famille et de prendre du temps pour rédiger son mémoire de maîtrise. Son séjour a pris une tout autre tournure.

Durant la nuit du 6 février dernier, un tremblement de terre d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter a secoué le sud-est du pays et une partie de la Syrie. On recense pour le moment plus de 41 000 morts en Turquie et près de 6 000 en Syrie, alors que la fouille des décombres est toujours en cours.

« C’est un peu bizarre, mais j’étais quand même heureuse d’être là », admet-elle. « Quand on est à l’étranger, les gens [ici] ne sont parfois pas au courant de ce que l’on vit [dans notre pays natal]. »

Bien qu’elle résidait à Istanbul, à des centaines de kilomètres de l’épicentre, Halime a bien ressenti les secousses sociopolitiques de la catastrophe.

Ce qu’elle ressent maintenant, c’est de la tristesse, oui, mais surtout de la colère envers le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan, qui tient le pays d’une main de fer depuis son entrée au pouvoir en 2014.

Ce serait cette centralisation du pouvoir qui serait en cause dans les délais avant l’arrivée des secours, qui ont mis jusqu’à 40 heures avant d’entamer les fouilles pour trouver des survivants.

Le régime est également pointé du doigt pour avoir autorisé la construction d’immeubles qui ne respectaient pas les normes de sécurité parasismiques et qui se sont écroulés le 6 février dernier.

Censure et répression après le séisme

Si Halime préfère garder le couvert de l’anonymat, c’est en partie parce qu’elle s’inquiète des représailles du gouvernement d’Erdogan, qui a la réputation de s’en prendre à ses critiques. 

En 2016, le président turc avait fait arrêter 32 000 individus, dont des juges, des généraux, des professeur·es et des journalistes après une tentative ratée de coup d’État, dès lors utilisé comme prétexte pour écraser et « purger » la société civile.

« Quand on est turc [même si on est à l’étranger], on ne peut pas vraiment parler librement », explique-t-elle. « Qu’on critique ou pas, je pense que les gens ont peur de parler en général. »

Selon elle, bien qu’on n’en parle souvent qu’en catimini, tou·tes ressentent bien la régression politique, la division sociale et les difficultés économiques qui transforment actuellement le pays.

« Quand on est turc [même si on est à l’étranger], on ne peut pas vraiment parler librement. »

Halime

Depuis la catastrophe, le gouvernement turc a entrepris de censurer et même d’arrêter les voix dissidentes, y compris celle de journalistes, qui s’élèvent sur les réseaux sociaux. L’accès à Twitter, réseau particulièrement populaire là-bas, a été bloqué temporairement dans les jours qui ont suivi la catastrophe.

Or, selon Halime, les réseaux sociaux sont devenus une source vitale d’information en Turquie. C’est à travers eux, par exemple, que des victimes du séisme ont pu contacter des secours et indiquer leur position.

Rester ou quitter

Les plus jeunes, aujourd’hui, ne connaissent pas ce qu’elle décrit comme étant la « vieille Turquie », où les libertés sociales étaient beaucoup plus permissives, où on pouvait rentrer au petit matin, fêter et assister à des concerts.

Ces activités seraient moins accessibles maintenant qu’elles ne l’étaient lorsque Halim à terminé le lycée en 2012. Elles sont moins fréquentes et beaucoup plus dispendieuses. « Prendre une bière avec des amis maintenant, c’est rendu un luxe à cause de la hausse de la taxe sur l’alcool », explique la jeune femme. « Les jeunes doivent toujours calculer leur argent, même prendre un café, c’est parfois impossible. »

« Ce que les jeunes de mon entourage veulent, c’est avoir une vie digne. On veut étudier, travailler […], vivre comme on veut dans une tolérance réciproque. »

Halime

Les jeunes « voient la dégradation du pays, ils sont particulièrement touchés, parce qu’au moins les générations précédentes avaient une certaine sécurité », souligne-t-elle. « Ils pouvaient faire ce que les jeunes font normalement, ils pouvaient étudier, ils avaient une liberté académique. »

Selon elle, l’accès à l’éducation supérieure est limité en raison des difficultés économiques. Plusieurs sont contraint·es d’abandonner les études pour travailler et soutenir leur famille.

« Ce que les jeunes de mon entourage veulent, c’est avoir une vie digne. On veut étudier, travailler […], vivre comme on veut dans une tolérance réciproque. »

Lorsqu’on lui demande si elle espère retourner vivre dans son pays après ses propres études, Halime soupire. « C’est un débat chez nous, de rester ou partir », raconte la jeune femme. « Je suis heureuse de la vie que j’ai au Québec, mais bien sûr si je le pouvais, je vivrais en Turquie. »

La jeune femme attend avec impatience les résultats de l’élection présidentielle qui se tiendra en juin prochain. Elle garde espoir que les cafouillages d’Erdogan après le séisme pourraient compromettre sa réélection.

* Nom fictif

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