La portée des maux : réponse à Patrick Lagacé

CHRONIQUE | Les violences ne prennent pas toutes la forme de bombes qui éclatent ou de coups physiques.

Cette semaine, La Presse publiait une chronique signée par Patrick Lagacé qui se questionnait sur l’emploi du qualificatif « violent » employé dans certaines situations qui font la une ces temps-ci. Était cité en exemple le cas d’étudiantes de l’UQAM qui se sont fait interdire l’écriture inclusive et qui ont qualifié cela de « super violent ». En fait, selon Lagacé, notre « époque » souffrirait d’un vice de calibrage lorsqu’il s’agit d’identifier ou, du moins, de quantifier la violence.

Permettez-moi d’insister sur une nuance cruciale : les violences ne prennent pas toutes la forme de bombes qui éclatent ou de coups physiques.

Le spectre des violences

Bien sûr, on peut classifier les violences dans un ordre de grandeur, notamment lorsqu’il s’agit de pertes de vies humaines. Il va de soi qu’un meurtre, une agression sexuelle ou la séquestration sont des gestes d’une grande gravité. Voir ses proches mourir ou perdre son logis sous un bombardement est aussi éminemment plus tragique qu’une remarque passive-agressive laissée par un correcteur sur un travail universitaire.

L’occasion du douloureux premier anniversaire du début de l’invasion russe en Ukraine, le 20 février, amène à reconnaître humblement l’immense privilège que nous avons de pouvoir mener la vie qui est la nôtre. Cela dit, est-ce qu’on ne peut pas, tout en entrant en empathie et en solidarité envers des peuples opprimés ou victimes de grands drames, continuer d’essayer de faire mieux ici?

Cela passe notamment par une réflexion sur la manière dont on communique les diverses réalités qui composent notre société.

Les mots accompagnent souvent les maux.

Parce que les violences, aussi multiples soient-elles, ont à leur source un objectif commun de nier ou d’anéantir l’autre. Et il existe une autre arme très puissante que l’on a tôt fait de brandir quand il est question d’identité nationale, mais qu’on balaie souvent sous le tapis lorsque vient le temps de parler d’inclusion : la langue est capable d’annihiler, elle aussi.

Notamment si on se borne à n’y laisser transparaître que le masculin ou qu’on tente de polir certaines réalités douloureuses.

Les mots accompagnent souvent les maux.

Le féminisme « intersectionnel »

La CAQ a refusé cette semaine, en plein Mois de l’histoire des Noirs et lors de la Journée contre l’intimidation, de débattre d’une motion à propos de la Journée internationale des droits des femmes dans laquelle était mis de l’avant un féminisme intersectionnel. C’est l’emploi de ce dernier terme qui serait le nœud du problème puisque, selon les propos rapportés de la ministre Martine Biron, il ne s’agirait pas de la vision du féminisme qu’endosse notre gouvernement.

On pourrait être tenté·es de croire qu’il ne s’agit « que d’un mot », que s’y attacher tient du caprice. Or, ne pas nommer, c’est voler quelque chose aux personnes concernées.

L’Académie française en était bien au fait lorsqu’elle a supprimé les noms féminins de métiers pour que les femmes soient mieux confinées à la vie domestique. Le premier ministre François Legault le savait, lui aussi, en refusant si ardemment de prononcer les mots « racisme systémique ».

Ne pas nommer, c’est voler quelque chose aux personnes concernées.

Qu’on soit d’accord ou non sur les meilleures manières d’inclure le plus grand nombre, il reste que refuser de faire tout effort peut bel et bien être qualifié de « violent ». C’est certain que j’aurais vraiment plus mal physiquement si vous me sectionniez un bras sans anesthésie à l’aide d’une vieille scie rouillée, mais je sens quand même qu’on m’arrache quelque chose.

Le féminisme institutionnel se doit d’être intersectionnel, il n’a même pas le choix! Parce que le gouvernement en place accepte, à son élection, de nous représenter tous et toutes. Au pluriel. S’il veut être cohérent avec ce mandat, il a l’obligation de tenir compte de toutes les réalités, dans leur pluralité et leur complexité.

Carapace, non merci

Ces temps-ci, on entend souvent que la jeunesse ou qu’une portion de la population serait aujourd’hui « trop fragile », prendrait les choses trop à cœur. Comme si ces groupes étaient capricieux ou attachés à des futilités.

La chronique de La Presse citée plus tôt suggère que « l’époque » actuelle aurait peut-être besoin d’une meilleure carapace.

Ceux et celles qui souffrent n’ont pas besoin de se faire dire de renforcer leur carapace.

N’est-ce pas le genre de conseil qui contribue à mettre la faute sur les personnes qui sont lésées? Ceux et celles qui souffrent n’ont pas besoin de se faire dire de renforcer leur carapace.

Pas quand le tissu social est mince comme peau de chagrin. Pas quand les listes d’attentes en santé mentale sont si affreusement longues. Et certainement pas tandis que, faute de fonds, des ressources essentielles sont forcées de mettre la clé sous la porte, comme devra le faire le service de nuit de l’organisme Interligne – là encore, cette semaine, la CAQ a refusé d’en discuter.

Et je trouve ça super violent.

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