Capture d'écran du site Web de Clic santé, avec un effet de flou
Nouvelle

Dur d’accéder à des services publics pour les personnes ayant des difficultés visuelles

Le Regroupement des aveugles et amblyopes de Montréal dénonce notamment les difficultés d’accès à Clic Santé, qui ne respecte pas les normes fédérales en matière d’accessibilité.

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Du 5 au 11 février se déroule la Semaine de la canne blanche, qui vise à sensibiliser à la réalité des personnes ayant une déficience visuelle. Pour l’occasion, le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM) décerne des prix « Coup de cœur » et « Coup de gueule » à des initiatives québécoises s’étant démarquées : des services publics provinciaux font (encore) mauvaise figure.

Pour une deuxième année consécutive, c’est Clic Santé qui reçoit le prix citron, pour sa plateforme extrêmement difficile d’accès pour les personnes ayant une déficience perceptuelle.

Le Service québécois du livre adapté (SQLA) de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a aussi été ciblé pour ses enjeux majeurs d’utilisation, bien que la plateforme s’adresse précisément à une clientèle ayant des difficultés visuelles.

Côté coup de cœur, c’est le milieu des arts qui a été couvert d’éloges. En première ligne, le Théâtre du Rideau Vert a été salué pour son programme d’accessibilité universelle, suivi de près par la compagnie de théâtre Joe Jack et John.

Un service essentiel qui exclut ses citoyens

C’est « inacceptable », ont défendu les membres du RAAMM, en faisant référence au cas de Clic Santé. Les membres ont décerné le prix Coup de gueule à la plateforme pour une deuxième année consécutive. Ils et elles lui reprochent un processus long et fastidieux, ainsi que des erreurs de programmation qui ne leur permettent pas d’accéder au service de manière autonome.

Il faut savoir que plusieurs personnes ayant des difficultés visuelles utilisent des outils pour surfer sur le Web. Il peut s’agir d’un logiciel de grossissement, d’outils de lecture en synthèse vocale ou encore de tablettes à relief qui traduisent en braille.

Mais pour servir, ces outils doivent être jumelés à des plateformes qui respectent les normes en matière d’accessibilité. Ces normes ont été imposées au Canada en 2011 et s’appliquent à toutes les plateformes numériques gouvernementales.

« Sur Clic Santé, on ne peut pas être certains que l’information saisie lors de la prise de rendez-vous a été prise en compte. Par exemple, les lieux de rendez-vous apparaissent sur une carte interactive, mais on ne peut pas cliquer nous-mêmes sur la carte et modifier l’information », explique Jérôme Plante, qui utilise lui-même un outil de synthèse vocale.

« Un site Web, avec même une seule étape inaccessible, ça ne fonctionne pas. »

Jérôme Plante

Pour être captés par un lecteur d’écran, les images et les autres éléments visuels doivent être codés sous forme de textes, explique Émilie Viau, coordonnatrice des services en accessibilité numérique du RAAMM.

« Si tu navigues sur le site de Clic Santé, certaines parties sont accessibles, mais à un certain point, tu tournes en rond, parce que tu arrives à un endroit où le site n’a pas été proprement codé », explique la spécialiste.

« Il y a eu du chemin parcouru depuis l’an passé, mais les gens ne peuvent toujours pas se rendre au bout du processus d’inscription de manière autonome », commente Émilie Viau.

« Un site Web, c’est comme un immeuble. Si tout est parfait, qu’il y a des ascenseurs partout, mais qu’il y a trois marches face à la porte d’entrée, ça ne sert à rien que tout soit parfait à l’intérieur, la personne ne peut y accéder. Un site Web, avec même une seule étape inaccessible, ça ne fonctionne pas », exemplifie Jérôme Plante.

Contacté par Pivot, le ministère de la Santé et des Services sociaux a affirmé que près de 110 000 $ seront investis pour apporter les modifications nécessaires. Certaines ont déjà été réalisées, et l’ensemble des travaux devrait être réalisé d’ici l’été 2023.

D’ici là, le ministère a réaffirmé que ceux et celles ne pouvant pas utiliser la plateforme numérique peuvent prendre rendez-vous par téléphone.

« Le service téléphonique, c’est bien beau, mais les heures d’attente sont souvent élevées, et les horaires, limités », rappelle Pascale Dussault, directrice du RAAMM. « Tu es en attente au téléphone et la voix automatisée te dit : “pour accélérer le processus, dirigez-vous sur la plateforme numérique Clic Santé” », raconte-t-elle.

Des réalités qui sont encore difficilement comprises

Du côté du Service québécois du livre adapté, qui s’est également vu décerner la mention Coup de gueule, la surprise a été totale. « Ça a été un peu reçu comme une brique par les équipes. Ça faisait longtemps qu’on travaillait là-dessus », affirme Sébastien Nadeau, le directeur des services au public à la Grande Bibliothèque.

« On avait la volonté très forte de bonifier le site du Service québécois du livre adapté. Le site était très vieux, très bancal, et on était excessivement limité en termes d’ajout au catalogue. Les nouveaux formats (livre audio, lecture en direct, format numérique pour le braille) sont maintenant permis par le nouveau système. Mais ça a été perçu par les usagers comme une couche supplémentaire de complexité », explique Sébastien Nadeau.

« Si vous mettez des services en ligne pour les personnes aveugles, il faut les inclure au fur et à mesure du processus, pas après. »

Pascale Dussault, directrice du RAAMM

Dans une série de rencontres organisées depuis le mois de décembre, les équipes du RAAMM et du RAAQ ont fait part de leurs doléances à la BAnQ. Les organisations lui reprochent entre autres de ne pas avoir fait suffisamment de tests avec les utilisateurs, qui auraient permis de relever une panoplie de problèmes.

« On a fait affaire avec des firmes externes spécialisées en accessibilité Web, mais au niveau de la consultation publique, on aurait pu faire mieux », concède Sébastien Nadeau.

La BAnQ s’est engagée à régler les problèmes et une consultation publique est prévue dans les prochaines semaines.

« Consultez-nous! »

« Ce qui est triste, dans un cas comme dans l’autre, c’est que les personnes concernées n’ont pas été consultées », se désole la directrice du RAAMM. « Si vous mettez des services en ligne pour les personnes aveugles, il faut les inclure au fur et à mesure du processus, pas après. »

« Ce qui doit être peaufiné, c’est la compréhension de la réalité des personnes en situation de handicap, qui utilisent certains outils, qui ont certains besoins », affirme également Émilie Viau.

Au Canada, plus de 22 % de la population a des limitations auditives, motrices ou cognitives. Au Québec uniquement, cela représente plus de 200 000 personnes.

Dans le cadre de la Semaine de la canne blanche, le RAAMM offrira gratuitement la conférence L’ABC de l’accessibilité du Web, qui connecte les professionnelles du Web aux clientèles handicapées.

« Des exemples de sites accessibles, il y en a plein! Le milieu culturel est un bel exemple que lorsqu’on veut être inclusif et accessible, c’est possible! » rappelle la directrice du RAAMM.

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