Il y a maintenant plus d’un mois, des citoyen·nes de Villeray se sont démené·es pour empêcher la fermeture de l’épicerie du quartier, Tsikinis, après l’achat de l’édifice par un nouveau propriétaire, Holding Rubino, dont le dirigeant est aussi investisseur de Fraîchement bon!, l’épicerie concurrente de Tsikinis.
L’investigation citoyenne a commencé sur le groupe Facebook « Quarantaine Solidaire de Villeray” lorsque plusieurs membres ont commencé à s’inquiéter de la potentielle fermeture de l’épicerie emblématique du quartier, Tsikinis.
« Six ou sept citoyen·nes ont vraiment fouillé la question et essayé de comprendre ce qui se passait exactement. Et puis on a découvert plusieurs faits étranges », raconte l’administrateur du groupe Facebook, Guillaume Bouchard Labonté.
La fruiterie Tsikinis a effectivement vu son loyer doublé par une compagnie qui est aussi propriétaire de la fruiterie Fraîchement bon!, située depuis peu devant Tsikinis.
« Dans le cas des commerces, ce qui est embêtant, c’est qu’il n’y a pas vraiment de contrôle possible sur le niveau des augmentations de loyer. Donc ce n’est pas comme avec un locataire, où on a quand même un mécanisme de fixation des hausses de loyer au Tribunal administratif du logement », explique la porte-parole de l’Association des locataires de Villeray, Sev Rovera.
Les citoyen·nes de Villeray se sont alors demandé·es si c’était une activité de concurrence agressive et « déloyale » de la part d’Holding Rubino.
« L’édifice qui abrite le Tsikinis a été acheté pour 5,7 millions de dollars. C’est un peu beaucoup, juste pour faire fermer une boutique. Par contre, la hausse de loyer est franchement commode a posteriori, après l’achat. Même s’il n’y a pas de plan machiavélique, il y a quand même une stratégie derrière, qui est intégrée, qui a une vision pour la modification du quartier à terme », dit Guillaume Bouchard Labonté
Bien que l’achat de fruiteries concurrentes n’est pas une habitude pour Holding Rubino, s’installer juste en face semble l’être.
En effet, Tsikinis n’est pas la seule épicerie à souffrir de l’ouverture d’un Fraîchement bon! juste en face. C’est aussi le cas de Au Melon Miel, sur la rue Masson, qui a depuis fermé, mais aussi de Les Fruits St-Denis dans Villeray.
La découverte d’un empire commercial influent, la famille Rubino
Rappelons que Gerardo Rubino est à la fois président de Holding Rubinoet vice-président de Fraîchement Bon!, compagnie qui, elle, appartient à son beau-frère François-Karl Viau.
Faisant partie d’un empire commercial assez influent, la famille Rubino possède aussi d’autres franchises.
« Ces deux jumeaux-là [Gerardo et Angelo Rubino] possèdent aussi beaucoup de franchisés de Allô! mon coco, de Mr. Puffs et évidemment de leur entreprise principale, qui est Rubino Shoes », nomme Guillaume Bouchard Labonté.
Holding Rubino travaille aussi main dans la main avec l’équipe de gestion MTRPL, autre actionnaire de l’immeuble de Tsikinis, qui s’occupe des relations publiques.
Rubino contre-attaque
Après la découverte de l’ampleur des stratégies commerciales de la famille Rubino, un vrai soulèvement citoyen s’est créé. Certain·es habitant·es ont appelé au boycottage de Fraîchement bon!, l’accusant de pratiques déloyales. Le commerce a reçu en quelques heures un déluge d’avis négatifs sur Google.
Quelque temps après, des administrateurs de Rubino Shoes et des franchisés de Mr. Puffs ont publié des commentaires positifs pour contrer l’avalanche d’avis négatifs.
Tsikinis sauvée pendant trois ans, mais après?
Récemment, la fruiterie Tsikinis dit avoir réglé la « chicane » avec Holding Rubino en acceptant l’augmentation de loyer et en signant un renouvellement de bail de trois ans.
Mais « il ne s’agit pas seulement d’une fruiterie qui est symbolique à Villeray. Il s’agit aussi de sécurité alimentaire à long terme, à Montréal, et spécifiquement dans le quartier Villeray », dit Guillaume Bouchard Labonté.
« Si ce genre de pratiques se développait trop par rapport aux commerces de quartier, on se retrouverait avec des commerces de quartier qui doivent soit plier boutique, soit malheureusement augmenter leurs prix », explique Sev Rovera, de l’Association des locataires de Villeray.
« Dans un contexte d’inflation à plus de 6 %, comme c’est le cas actuellement, les résident·es du quartier les plus vulnérables ne vont pas pouvoir continuer à s’alimenter et à s’approvisionner auprès de leurs commerces de quartier. »
La multiplication de commerces gentrifiés comme Fraîchement bon! est un signe d’amélioration de la ville pour certain·es, mais pour d’autres, c’est surtout le signe d’une vie plus chère qui pousse les personnes à faible revenu en dehors de ces quartiers.
Gerardo Rubino n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.