À Québec, on trouve des anti-tramways dans les arrondissements éloignés du tracé, certes. Mais, aussi en plein centre-ville, où le niveau d’appui est le plus élevé. Qui sont ces opposants dont les arguments « progressistes » viennent d’être déboutés en cour? Et qu’avancent-ils exactement?
Une, deux, trois, huit, vingt pancartes arborant un large cercle vert sur fond blanc. Il ne faut pas avoir un œil de lynx pour remarquer les nombreuses affiches de Québec Mérite Mieux, toutes (ou presque) situées sur le boulevard René-Lévesque, une des artères principales du centre-ville de Québec.
Depuis des mois, ce groupe citoyen mène une lutte féroce pour empêcher la réalisation d’un projet majeur dans la région : celui du tramway.
Lors de sa mise en service en 2028, ce système électrifié sur rail, long de 19,3 km, deviendra « la colonne vertébrale d’un réseau de transport en commun moderne », peut-on lire sur le site Web du projet.
Pour Québec Mérite Mieux, il s’agit plutôt d’un projet inadapté pour Québec. La Vieille Capitale a beau être la seule ville canadienne de plus de 500 000 habitants sans une telle option de mobilité, ces opposant·es n’en démordent pas : il existe des alternatives qui, selon eux et elles, n’ont pas été considérées.
« Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), dans son rapport sur la construction d’un tramway à Québec, a livré des recommandations qui vont en ce sens. Nous pensons qu’il existe d’autres solutions moins invasives qui valent la peine d’être étudiées, comme les autobus électriques [intelligents] », affirme Doris Chabot, l’une des porte-parole du collectif, en entrevue.
La membre fondatrice de Québec Mérite Mieux fait partie des citoyen·nes qui ont lancé, en juillet dernier, des procédures judiciaires contre la Ville de Québec et son mégaprojet. Pas de chance : « rien dans le recours des demandeurs ne pose obstacle au projet de tramway », écrit le juge Clément Samson de la Cour supérieure, devant qui s’est tenu le procès, dans un jugement de 85 pages rendu le 17 janvier dernier.
Fait intéressant : les personnes derrière cette poursuite habitent pour la vaste majorité au centre-ville où le tramway doit en principe circuler et donc leur bénéficier de manière directe, apprend-on en consultant les documents déposés à la Cour supérieure.
Un sondage diffusé en novembre dernier – et dont les conclusions ont depuis été reconfirmées – rapporte pourtant que c’est dans les quartiers périphériques et non centraux que l’opposition est la plus forte, et ce, de manière significative.
Écologique ou non?
L’un des arguments phares mis de l’avant par Québec Mérite Mieux a trait à l’environnement. « Abattre des milliers d’arbres, dont certains centenaires, n’est pas écoresponsable », tranche le groupe sur son site. En tout, environ 1400 des 7000 arbres situés en bordure du tracé du tramway seront coupés, estime la Ville de Québec.
« On ne fait pas un projet écologique en créant des gaz à effet de serre (GES) pour 10 à 15 ans. C’est néanmoins ce qu’on s’apprête à faire avec ce projet qui exige de raser des arbres qui font leur job » de capter du CO2, s’indigne Doris Chabot. À titre de propriétaire d’un immeuble riverain du tracé du projet, elle est affectée par le processus d’expropriation déjà entrepris : une partie de son terrain sera amputée.
« À long terme, le projet de tramway de Québec sera normalement beaucoup plus bénéfique que nuisible à l’environnement. »
Alison Munson
Cette analyse en est une à courte vue, pense pour sa part Alison Munson, professeure au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval et cotitulaire de la Chaire de recherche sur l’arbre urbain et son milieu. S’il est vrai que les arbres en ville « livrent d’importants services écologiques dans un contexte de changements climatiques », il est réducteur de cristalliser le débat autour de cet enjeu spécifique.
« La perte de valeur écologique et patrimoniale sera transitoire. À long terme, le projet de tramway de Québec sera normalement beaucoup plus bénéfique que nuisible à l’environnement, par exemple en réduisant le nombre de voitures sur les routes », explique-t-elle.
Qui plus est, la Ville de Québec agit « dans les règles de l’art » pour atténuer les effets du futur chantier du tramway, que ce soit en protégeant les arbres existants lors des travaux ou en en plantant de nouveaux pour compenser la perte de ceux abattus.
« La Ville va plus loin que ce qui est exigé en temps normal dans ce genre de grands projets d’infrastructures, même si les miracles sont bien sûr impossibles. Je suis pour ma part assez optimiste; les experts du bureau de projet font leurs devoirs pour mettre en place les meilleures pratiques possible », analyse Alison Munson, dont les projets de recherche portent, entre autres, sur l’amélioration des connaissances en foresterie urbaine.
« La preuve révèle aussi que la Ville fera d’importants efforts pour amoindrir les effets temporaires du chantier de construction de ces infrastructures et les conséquences permanentes des contraintes de ce nouveau mode de transport », souligne pour sa part le juge Clément Samson dans son jugement.
Pas dans ma cour
Une autre affirmation de Québec Mérite Mieux est que le tramway a été en somme imposé de force aux résident·es de Québec par la Ville et ses partenaires. En gros, la population aurait sciemment été écartée du projet par la sphère politique, ce qui représenterait une entorse grave à la démocratie, un « abus de pouvoir ».
« L’ancien maire de Québec Régis Labeaume [d’abord opposé au projet] a changé d’idée sur le tramway, le maire actuel Bruno Marchand a pris des engagements électoraux à ce sujet qu’il n’a finalement pas respectés… Dans une véritable démocratie, il y aurait eu un référendum sur le projet », martèle Doris Chabot.
« Les membres de Québec Mérite Mieux seront directement affectés par le chantier du tramway, j’y vois plutôt une réaction de protection de ses intérêts privés. »
Émiliano Scanu
Lors du procès, l’avocat de Québec Mérite Mieux a aussi insinué l’existence d’un « complot » qui expliquerait pourquoi le gouvernement du Québec a donné son feu vert au mégaprojet, malgré les avis défavorables du BAPE. Une accusation que rejette la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui aurait soi-disant été impliquée dans ce conflit d’intérêts, tout comme le juge Clément Samson. Ce sont « des sous-entendus de conflit d’intérêts qui tiennent avec de la ficelle. Le Tribunal rejette ces insinuations », écrit le juge.
« Les membres de Québec Mérite Mieux seront directement affectés par le chantier du tramway, j’y vois plutôt une réaction de protection de ses intérêts privés de type “pas dans ma cour” », fait valoir Émiliano Scanu, chargé de cours au Département de sociologie de l’Université Laval et coauteur du livre Comment survivre aux controverses sur le transport à Québec?, qui suit le dossier depuis les consultations publiques sur le plan de mobilité durable de la Ville de Québec de 2009.
Cette conception « conservatrice caractéristique de la région de Québec » traduit dans les faits « une vision très étroite » de la chose publique, voire une méconnaissance du fonctionnement des institutions, estime-t-il.
Le groupe a 30 jours pour aller en appel après la tombée du jugement.