Le mouvement anti-guerre doit renouer avec l’internationalisme

CHRONIQUE | Le désir de paix et le rejet de la guerre transcendent la couleur des drapeaux. Ne nous laissons pas avoir par ceux qui disent que refuser la guerre, c’est prendre parti pour l’ennemi.

Le désir de paix et le rejet de la guerre transcendent la couleur des drapeaux. Ne nous laissons pas avoir par ceux qui veulent nous faire croire que refuser la guerre, c’est prendre parti pour l’ennemi.

Dur temps pour écrire une chronique sur l’actualité internationale.

J’ai initialement ressenti, en début de semaine, la nécessité (à défaut de l’envie) d’écrire à propos de toute cette saga des chars d’assaut Leopard qu’on somme le Canada d’envoyer en Ukraine.

Ironiquement, le déferlement de toutes les conneries que j’ai pu lire et entendre en l’espace de seulement quelques jours m’a convaincu que le naufrage rhétorique avait atteint le point de non-retour, comme à peu près tout ce qu’on lit et entend à propos de la guerre en Ukraine, entre propagande et désinformation.

« Le mouvement anti-guerre fait le jeu des Russes. »

Cette idée-là, elle ne perd pas en ridicule depuis ses origines immémoriales : les opposant·es à la guerre, quelle qu’elle soit, les internationalistes dans le plus pur sens du terme, sont toujours les idiot·es utiles de l’ennemi du jour, qu’ils soient Russes, Chinois, talibans, terroristes (probablement la plus subjective de ces catégories) et j’en passe.

Présentement, une proportion assez substantielle des opposant·es aux guerres d’agression occidentales en Afrique et au Moyen-Orient, dont un bon nombre d’intellectuel·les, semblent rassuré·es qu’on retrouve enfin un paradigme « normal » de la bonne vieille confrontation inter-impériale, maintenant que Poutine a joué un jeu sorti du livre de George W. Bush.

La guerre est le fait d’États et d’institutions de pouvoir, et non celui de leurs citoyen·nes.

Alors qu’ils et elles contestaient les institutions politiques et militaires à l’origine des guerres en Afghanistan et en Irak, on assiste désormais chez une bonne partie de l’élite « progressiste » à un repli sur ce qu’on considère être la force des institutions dites démocratiques libérales. Celles-ci sont devenues le seul rempart, semble-t-il, tant devant l’impérialisme russe que devant la montée chez nous de l’extrême droite – largement attribuée, par ailleurs, à de l’ingérence… russe.

Il faudrait, selon eux, préserver l’empire américano-occidental à tout prix, peu importe sa corruption interne et son pillage continu de la plus grande part des pays du Sud global.

À ce propos, les intellectuel·les et les journalistes de l’élite voient désormais d’un œil suspicieux les mouvements sociaux et politiques anti-impérialistes issus de cette région du monde, puisqu’ils rejettent plus souvent qu’autrement le point de vue occidental à propos du conflit russo-ukrainien.

Ainsi, des arguments et des explications valides et débattables sur les origines de cette nouvelle guerre – qui se révèle de plus en plus comme un conflit par procuration entre la Russie et l’Occident avec l’Ukraine comme intermédiaire –, sont étiquetés comme de vulgaires expressions de la propagande russe, et non reconnus comme un point de vue internationaliste légitime.

Ça ne date pas d’hier : déjà, en 1917, Lénine avait retiré la Russie de la Première Guerre mondiale, peu de temps après la victoire révolutionnaire des bolchéviques contre l’establishment impérial russe, et déjà on l’accusait d’être un agent à la solde du kaiser allemand!

Mais encore une fois, je vous balade un peu de gauche à droite – cette chronique n’est en fin de compte pas à propos de la guerre en Ukraine, mais à propos du mouvement anti-guerre.

Défier les trames narratives officielles

En 2018, Noam Chomsky rappelait avec justesse (dans ses entretiens avec le journaliste austro-afghan Emran Feroz) que le rôle des intellectuel·les est de réfléchir sur des enjeux que nous contrôlons, tout en rappelant que les intellectuel·les critiques d’aujourd’hui sont comme les prophètes des récits bibliques : on les persécute plutôt que les écouter.

C’est la raison pour laquelle les intellectuel·les public·ques ont le devoir de défier la trame narrative officielle de l’État guerrier, ou du moins d’explorer les alternatives.

On assiste désormais chez l’élite « progressiste » à un repli sur les institutions dites démocratiques libérales, devenues le seul rempart, semble-t-il, devant l’impérialisme russe.

Et c’est ce que le mouvement anti-guerre cherche à accomplir : rappeler que la guerre est le fait d’États et d’institutions de pouvoir, et non celui de leurs citoyen·nes. D’autant plus que la quête de profits demeure toujours un élément déterminant de la conduite de la guerre, vu la toute-puissance des complexes militaro-industriels nationaux et transnationaux.

L’ex-président états-unien et commandant suprême des Alliés durant la Seconde Guerre mondiale, Dwight Eisenhower, mettait lui-même en garde ses concitoyen·nes de l’emprise grandissante du complexe militaro-industriel en 1961.

Un autre héros de guerre de l’Empire, le général Smedley Butler, faisait état de son service comme homme de main à la solde des grandes compagnies, dans son percutant discours « La guerre est un racket », paru sous forme de pamphlet en 1935.

Une nécessaire perspective internationaliste

Durant la Révolution russe de 1917, c’est en grande partie à travers un mouvement massif de grèves que les bolchéviques sont arrivés à casser le régime tsariste, obstiné à continuer de laisser ses soldats crever dans les tranchées du front de l’Est.

En 1917. Avec les moyens de communication de l’époque.

Vous me direz que la Révolution russe fut suivie du stalinisme et de ses atrocités, soit.

Ça tombe bien, j’ai envie de traiter éventuellement de l’envers des révolutions.

Je suis tout de même inspiré par la tactique, qu’on a vue se reproduire de manière limitée dans les dernières années, que ce soit par les débardeurs du port de Marseille en France, qui avaient refusé d’embarquer des armes françaises à destination du Yémen, ou par les syndicats de chemin de fer ukrainiens et biélorusses, qui avaient eux aussi pris le maquis dès le début de la guerre. (Je vous en avais parlé dans une précédente chronique.)

Imaginons maintenant l’impact qu’aurait un mouvement de grève mondial, rendu possible par les technologies de communications actuelles et les réseaux sociaux. Imaginons les travailleurs et les travailleuses des usines d’armes en Russie et en Occident déposer leurs outils.

Un rejet global de la guerre et de ceux qui nous poussent à la mener, qui transcende les couleurs des drapeaux, digne d’une réelle prise de conscience internationaliste.

Je vous comprends d’en rêver vous aussi.

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