Saint Omer : repenser la santé mentale et l’immigration

Pour le magazine Rolling Stone, le film français Saint Omer, de la réalisatrice Alice Diop, est une œuvre inoubliable qui aurait mérité l’attention des Oscars.

Ce film nous amène au cœur du procès d’une femme noire, immigrante sénégalaise, Laurence Coly, qui a commis l’indicible : un infanticide, pour lequel elle plaidera non coupable.

Et c’est cet aspect du film, le plaidoyer de non-culpabilité, qui a retenu mon attention.

Alors que la juge lui demande des explications sur ce qui s’est passé, Laurence répond : « J’espère que ce procès me donnera la réponse. » C’est ainsi qu’elle interpelle tant le système que la société.

La réponse ne peut être que polymorphe.

Une histoire mille fois rejouée

Une partie de la réponse est historique. On pense aux femmes noires qui, sous le joug de l’esclavage, ont également commis cet horrible crime. Des femmes qui ont vécu la maternité dans des circonstances horribles ou qui ont porté des enfants du viol. Le ventre des esclaves, source de capital, appartient à leur maître.

Ces femmes ont décidé de se rebeller contre cet asservissement. Elles ont tué leurs enfants pour les libérer. En les tuant, elles ont protégé leurs filles contre les inévitables viols. Leurs filles devenues, par la force de la loi, des biens meubles. Laurence, elle aussi, décide de protéger sa fille et en quelque sorte lui évite une destinée similaire à la sienne.

Mais dans un tel contexte de déshumanisation, qui commet un crime?

Malgré son intelligence, malgré son potentiel immense, Laurence a été mise à l’écart. Elle a vécu une mort sociale. Son procès nous force à remettre en question un système social qui l’a confinée à la marge, qui l’a effacée.

Briser les codes, en payer le prix

Le racisme fait également partie de la réponse. La force de cette idéologie se manifeste par les séquelles sociales de l’esclavage.

Laurence s’exprime dans un français littéraire. Les journalistes ne s’attendent pas à cela d’une migrante noire. Les médias le soulignent comme un fait digne d’intérêt public.

Face à la couverture médiatique, les propos de la mère de Laurence sont saisissants. Elle est fière de voir que l’on parle de sa fille qui n’est plus invisible, situation à laquelle sont confinés les Noir·es. Malheureusement, sa mère n’a pas conscience du fait que les médias parlent de Laurence pour cristalliser la déviance des femmes noires.

Aucune considération n’est donnée à sa détresse silencieuse qui crève l’écran. Est-ce que Laurence peut avoir des problèmes de santé mentale?

Une de ses professeures témoigne au procès. Pour elle, Laurence a l’insolence d’être ambitieuse, ayant décidé d’étudier le philosophe Wittgenstein. Une étudiante sénégalaise qui ose se croire à la hauteur d’une telle pensée, si loin de sa culture africaine. Mais pour qui se prend-elle? Ce témoignage est imprégné de condescendance… de racisme ordinaire, si ordinaire que personne ne sourcille.

Laurence s’intéresse au monde des idées. Cela l’isole de sa famille, qui lui coupera les vivres. Comme les enfants d’immigrant·es le savent, les parents valorisent des études menant à de véritables emplois : le droit, l’ingénierie et la médecine. Il faut faire œuvre utile. Les idées, c’est un luxe que les enfants d’immigrant·es ne peuvent pas se permettre.

L’oubli de la santé mentale

Angle mort du procès pour infanticide : la santé mentale.

Le procureur représentant l’État demande une condamnation. Ce faisant, il ignore totalement le contexte social auquel était confrontée Laurence.

Le désespoir de Laurence est palpable, il est notamment lié à l’immigration anarchique, élément clé du contexte social.

Mais la lecture du contexte social est plutôt étriquée et limitée au contexte soi-disant culturel de Laurence, notamment la « sorcellerie » ou les religions animistes.  

Or, les circonstances entourant l’infanticide nous amènent à conclure que Laurence a vécu non pas une, mais deux dépressions. Une découlant de son isolement, de son effacement social, et l’autre, postpartum. C’est notamment sous cet angle qu’il aurait fallu appréhender l’infanticide.

Dans un tel contexte de déshumanisation, qui commet un crime?

Aucune considération n’est donnée à sa détresse silencieuse qui crève l’écran. Est-ce que Laurence peut avoir des problèmes de santé mentale? Est-elle considérée comme un être humain ou plutôt comme une monstrueuse coupable sans affects, un objet?

Le témoignage de Laurence interroge les angles morts de la société, cette société qui a ignoré son existence par sa négligence, sa condescendance et son racisme plus qu’ordinaire. Elle a été effacée. Elle devient un sujet seulement que lorsqu’un crime est commis, c’est alors qu’elle intéresse l’État.

Laurence a été larguée par le père de son enfant, par ses parents, par la société. Où est donc la violence? Où se situe la responsabilité? Devant une telle complexité, comment imaginer la ou les véritables solutions? Devront-elles être sociétales?

Laurence nous force à nous interroger sur la justice. Laurence nous fait cheminer et elle nous amène à conclure qu’il ne peut y avoir de justice sans justice sociale, voire raciale.

Ce sont là les questions que le film soulève en nous demandant de repenser les systèmes.