Le large accès à la parentalité pour les personnes LGBTQIA+ au Québec leur permet d’expérimenter des configurations parentales alternatives. Dans son dernier ouvrage, la sociologue Gabrielle Richard explore ces nouveaux modèles familiaux qui, selon elle, pourraient contribuer à ouvrir notre façon d’envisager la famille.
Mat*, artiste et performeuse indépendante, vit au Québec depuis quatre ans. Elle a récemment entamé une démarche pour devenir une maman solo.
Elle explique qu’elle a choisi un donneur en qui elle avait confiance et qu’elle prévoyait de procéder à une insémination artisanale à la maison, avec le moins d’intervention médicale possible.
« C’est venu de réflexions sur l’indépendance que je voulais avoir comme future maman », dit Mat, qui vit en relation polyamoureuse.
Elle fait partie des nombreuses personnes queers au Québec qui cherchent à élever des enfants d’une manière alternative.
À écouter
Pour en savoir plus, écoutez l’épisode « Familles queer » de notre balado 2fxfslematin.
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Dans cet épisode, Charlie, Jess et leur invitées Marie-Pier et Marianne jasent des doutes qui nous habitent au moment de fonder une famille en tant que queer et des choses qui jouent contre nous. Iels discutent de comment que c’est donc beau de mettre des petits humains au monde et de ce qui nous challenge d’élever de la marmaille dans une société qui partage pas nos valeurs.
Des victoires nombreuses et des luttes à mener
Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT+, un organisme communautaire qui défend les droits des familles homoparentales, explique que le Québec fait figure de précurseur en matière de reconnaissance juridique et sociale des parents LGBTQIA+.
« En général, les lois ont beaucoup avancé dans les derniers 25 ans. On est une des places les plus avancées au monde en termes de notre reconnaissance légale, » note Greenbaum.
En effet, l’homoparentalité est reconnue juridiquement au Québec depuis 2002, et de nombreuses méthodes de conception existent pour les parents queers qui souhaitent avoir des enfants qui leur soient génétiquement apparentés. La fécondation in vitro (FIV) et la procréation médicalement assistée sont légales et couvertes par les assurances pour les couples queers et hétérosexuels.
Chez les personnes LGBTQIA+, la recherche d’alternatives continue souvent après la naissance de l’enfant dans les configurations même de la famille.
Greenbaum explique que la reconnaissance de la gestation pour autrui (GPA) est encore une affaire en cours. « Pour la GPA, ce n’est pas illégal au Québec, mais il n’y a pas de cadre légal, » explique Greenbaum. « Les gens font des GPAs mais si on fait un contrat avec une personne gestatrice, le contrat n’a pas de validité juridique. »
Le projet de loi 2 réformant le droit de la famille, adopté en juin dernier, devait reconnaître et encadrer la « maternité de substitution », mais cette partie de la loi est tombée à l’eau par manque de temps. Cette loi devrait être adoptée cette année.
Des groupes de défense des droits travaillent également à la reconnaissance légale d’autres modèles familiaux alternatifs, tels que les familles pluri-parentales, c’est-à-dire les familles avec plus de deux parents, rapporte Mme Greenbaum.
Préjugés et discrimination, encore et toujours
Même si les droits familiaux des personnes LGBTQIA+ au Canada ont considérablement progressé au cours des dernières décennies, la famille traditionnelle reste un bastion de l’hétérosexualité, selon certain·es sociologues qui étudient la question.
Dans son dernier ouvrage Faire famille autrement, pour lequel elle a interviewé différentes familles queers à travers le monde, la sociologue du genre Gabrielle Richard donne un aperçu sociologique de la manière dont les personnes LGBTQIA+ font et élèvent des enfants d’une manière qui diverge de la vision traditionnelle de la famille.
Au cours de sa recherche, Gabrielle Richard a remarqué que les parents queers au Québec se considéraient comme privilégiés par rapport aux parents queers dans d’autres contextes, mais qu’ils devaient tout de même faire face à des préjugés.
Les couples homosexuels se heurtent parfois aux biais homophobes des infirmier·ères et des médecins lorsqu’ils consultent des cliniques de fertilité, car la parentalité est encore souvent associée aux couples monogames hétérosexuels, selon Greenbaum.
« On passe rapidement de “il faut du sperme et des ovules pour faire un bébé” à “il faut nécessairement un homme et une femme pour faire et donc pour élever un bébé”. »
Gabrielle Richard, sociologue
« L’institution de la famille est étroitement liée à nos conceptions du genre, à ce qu’on conçoit comme étant la complémentarité des genres » féminin et masculin, dit Gabrielle Richard. « On passe rapidement de “il faut du sperme et des ovules pour faire un bébé” […] à “il faut nécessairement un homme et une femme pour faire et donc pour élever un bébé”. Le passage du biologique au social est très peu interrogé par la plupart des gens. »
La chercheuse souligne que ces préjugés n’ont aucune base scientifique. « Il y a un décalage entre les appréhensions qui préoccupent les gens […] et l’état des connaissances par rapport à ça », explique Gabrielle Richard.
« On sait hors de tout doute scientifique valable que nos enfants ne sont pas desservis par nos configurations familiales [non hétérosexuelles]. Non seulement on le sait, mais il y a des études scientifiques qui montrent qu’au contraire, nos enfants vont mieux sur certains aspects. »
Ouvrir la famille
Avec ces préjugés en tête, Mat explique qu’elle essaie de trouver les meilleurs modèles possibles pour le bien-être de son enfant à venir. La future maman solo explique qu’elle a discuté avec ses proches des rôles que chacun jouera dans la vie de l’enfant. Elle dit vouloir que son bébé grandisse avec de nombreux parrains et marraines qui serviront de contrepoints afin que le nouveau-né ait accès à des visions du monde et des modes de vie différents.
« C’est comme un puzzle que tu assembles », dit Mat. « Tu déconstruis chaque rôle [parental] en déconstruisant le puzzle et en le léguant à plein de personnes autour de toi. »
Richard utilise également cette métaphore tout au long de son livre. Pour elle, ce puzzle semble évident dans les relations monogames hétérosexuelles traditionnelles : l’homme a des gamètes mâles, la femme des gamètes femelles, et les deux sont censés former un bébé qui sera élevé par le couple.
« On sait hors de tout doute scientifique valable que nos enfants ne sont pas desservis par nos configurations familiales. »
Gabrielle Richard
Chez les personnes LGBTQIA+, la biologie oblige souvent les futurs parents à trouver des moyens alternatifs pour procréer. Cette recherche d’alternatives continue souvent après la naissance de l’enfant dans les configurations même de la famille.
Seules, en couple ou en « polycules » (réseaux de personnes dans une relation polyamoureuse), les personnes queers forment une variété de nouveaux modèles fluides de parentalité.
« C’est un peu spécial d’être dans cette case-là. Déjà quand tu es queer, souvent tu manques de modèles », dit Mat. « D’autant plus quand tu désires avoir un enfant en solo, là je dirais que c’est carrément le désert au niveau médiatique, représentation, culture. Ce n’est pas simple tous les jours. »
La création de nouveaux modèles familiaux « est peut-être portée davantage par les personnes queers mais, je pense, au bénéfice de tout le monde », croit Gabrielle Richard.
* Les noms de famille de certaines personnes ont été gardés sous silence pour préserver leur intimité.