Le choix de Sophie Brochu : faut-il lâcher sa job pour des raisons environnementales?

Je me suis souvent demandé s’il valait mieux quitter sa job dans une entreprise qui n’est pas cohérente avec les exigences environnementales ou, au contraire, s’il valait mieux rester pour changer les choses de l’intérieur.

J’ai l’impression que Sophie Brochu, qui vient de quitter son poste de PDG chez Hydro-Québec, s’est aussi posé cette question. Et Steven Guilbault. Et l’ex-ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot.

Et… vous?

Démissionner d’une entreprise pour des raisons environnementales, n’est-ce pas faire preuve de courage? À quoi bon donner de précieuses heures pour une structure économique qui détruit notre planète alors que d’autres, plus vertueuses, ont aussi besoin de main-d’œuvre?

Mais n’est-ce pas un peu lâche de quitter le navire, plutôt qu’aider à le faire changer de direction…?

Pire, si tout le monde quitte les entreprises qui ne respectent pas l’environnement, on va avoir de gros problèmes. Après tout, ce n’est pas pour rien qu’on parle de transition socio-écologique : c’est parce que notre société entière, y compris ses hôpitaux et ses écoles, n’est pas encore capable de respecter les limites planétaires. Que nous resterait-il si nous abandonnions tout ce qui n’est pas déjà à la hauteur de l’effort climatique?

Heureusement que des personnes avec une éthique environnementale ont le courage de tenir le fort et, je leur souhaite, de réussir à y planter un jardin. Mais… ne feraient-elles pas mieux d’offrir leur temps et leur expertise à de bons joueurs environnementaux?

N’oubliez pas qu’il existe toujours une troisième voie : l’implication citoyenne et le bénévolat, par exemple.

Personnellement, ce sont ces mots qu’aurait dits le philosophe romain Marc Aurèle qui m’ont aidé à choisir : « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »

Heureusement que vous restez/partez (biffer la mention inutile)

Parfois, c’est mieux de détruire un bâtiment trop énergivore qui n’avait aucune chance de suivre les exigences environnementales. Mais ce n’est pas vrai qu’on peut tout mettre par terre pour rebâtir mieux. Quand bien même cela serait possible, on n’aurait tout simplement plus le temps.

Une partie importante de la transition socio-écologique passera donc par des transformations majeures de structures existantes, qui ont le potentiel de s’adapter.

Ce sont tou·tes les travailleur·euses ayant conscience que leur entreprise pourrait en faire davantage qui peuvent être l’étincelle d’un changement à l’interne. Je parle d’un·e technicien·ne de surface qui veut cesser les produits chimiques utilisés pour le nettoyage, ou de ses collègues qui exigent des bacs à compost.

Je parle des cuisinier·ères qui incitent les gestionnaires à s’inscrire à des apps comme Too Good to Go ou Sauvegarde pour sauver leurs bons repas de la poubelle.

Je parle des ingénieurs qui pensent à l’écoconception de leurs produits et aux économistes qui bâtissent l’économie circulaire.

Tou·tes les travailleur·euses ayant conscience que leur entreprise pourrait en faire davantage peuvent être l’étincelle d’un changement à l’interne.

Ce sont ces millions de révolutionnaires tranquilles qui ont un pouvoir gigantesque pour faire lever le vent de la transition.

Mais ce sont aussi eux et elles qui se prennent le vent en pleine face. Ce n’est pas facile de faire changer les choses à l’interne, surtout lorsqu’on est seul·e. C’est épuisant de ramer à contresens, de parler dans le vide ou de déployer toute son énergie pour soulever un caillou.

Si cette chronique est construite en points d’interrogation, il y a tout de même une balise qui, selon moi, mérite une exclamation : protégez d’abord et avant tout votre santé mentale!

Il faut d’abord prendre soin de soi, pour prendre soin des autres et du monde. J’ai rencontré de la détresse des deux bords du débat : l’écoanxiété de rester, la terreur de partir et, au milieu, la culpabilité d’abandonner.

N’oubliez pas qu’il existe toujours une troisième voie : l’implication citoyenne et le bénévolat, par exemple, sont aussi des façons de participer à la transition socio-écologique.

Le dilemme des écologistes devenus ministres

À cet égard, l’entrevue de Nicolas Hulot à France Inter (ça vaut vraiment la peine de l’écouter) est un exemple édifiant : le ministre français de la Transition écologique a quitté le navire en 2018 parce qu’il ne voulait pas que sa présence laisse croire que son gouvernement prenait des actions suffisantes pour lutter contre le péril climatique.

Dans un monde d’avant les marches mondiales pour le climat, ses petits pas ne suffisaient pas pour semer l’armée de lobbyistes qui le poursuivait.

A-t-il fait preuve de courage en osant dénoncer : son départ a-t-il donné un coup de pied nécessaire? A-t-il fait preuve de lâcheté en partant : sa démission a-t-elle abandonné ses coéquipiers?

A contrario, beaucoup ont appelé à la démission de Steven Guilbeault, ex-écologiste devenu ministre libéral de l’Environnement, lorsqu’il a dû approuver le projet pétrolier de Bay du Nord en avril 2022, peu après avoir publié le premier Plan national de réduction des gaz à effet de serre.

Ce même ministre qui, depuis lors, défend avec vigueur le plan de protection du caribou forestier et a publié la première Stratégie nationale d’adaptation aux changements climatiques… entre autres choses. Heureusement que M. Guilbeault n’a pas sauté par-dessus bord dans la tempête.

Ou peut-être que cela aurait déclenché un mouvement sans précédent au Canada qui aurait déstabilisé le puissant lobby pro-fossile?

Vous avez choisi de partir, Mme Brochu… alors parlez!

Je me demande dans quelle situation s’est retrouvée Sophie Brochu pour faire le choix de quitter Hydro-Québec. Son ultimatum médiatique en octobre 2022 avait soulevé un certain espoir pour l’utilisation responsable de notre hydro-électricité, contre les ambitions peu environnementales de Pierre Fitzgibbon et François Legault.

Il y a quelque chose de démoralisant à être témoin de la chute de ces géants qui s’affrontent au jeu de l’avenir de notre planète. Lorsqu’ils tombent, la montagne à gravir paraît plus haute encore.

Comme certains et d’autres, je n’achète pas l’explication publique de la démission de Mme Brochu, qui affirme que son départ n’est pas lié à la volonté du gouvernement Legault d’utiliser Hydro-Québec pour booster la croissance économique de la province. J’espère que la commission parlementaire d’urgence demandée par QS fera toute la lumière là-dessus.

Parlez, Mme Brochu. Parlez des pressions que vous avez subies ou des petits pas qui ne vous permettent pas de semer les lobbyistes.

Si on peut débattre pendant des heures des raisons de la démission de M. Hulot et de la persévérance de M. Guilbeaut, on ne peut que supposer et imaginer celles de Mme Brochu. Dans ces conditions, le débat est stérile, presque inutile car récupéré de tout bord.

Parlez, Mme Brochu. Parlez des pressions que vous avez subies ou des petits pas qui ne vous permettent pas de semer les lobbyistes. Parlez de votre santé mentale ou de votre découragement.

Faites-le pour les millions de révolutionnaires tranquilles, ceux qui restent et ceux qui partent pour l’environnement.

Après tout, qui sait ce que pourrait déclencher la révélation des vraies raisons de votre démission.