Forum économique mondial : le grand renversement n’aura pas lieu

LETTRE D’OPINION | L’élitisme de cette messe de l’économie n’est jamais remis en question, mais c’est ce qui la rend si peu crédible dès le départ, malgré quelques intentions louables.

Après avoir été longtemps un chantre accompli du néolibéralisme, le Forum économique mondial (FEM) de Davos, qui se tient cette année du 16 au 20 janvier, a choisi de s’amender. Il a entrepris sa « grande réinitialisation » (great reset), une façon pour lui de mieux répondre aux problèmes qui nécessitent une transformation du monde : COVID-19, changements climatiques, pollution et, du bout des lèvres, inégalités sociales.

La « grande réinitialisation » reste un projet très flou, pavé de bonnes intentions, réfléchi en haut lieu et sans la moindre démarche démocratique. Il a été lancé à l’été 2020 avec la parution d’un livre du fondateur du FEM, Klaus Schwab, et de l’économiste Thierry Malleret, COVID-19, The Great Reset. Pour appuyer l’idée, le FEM a diffusé un balado sur le sujet et deux vidéos grandiloquentes, dont l’une basée sur un discours du prince Charles, avec de spectaculaires images d’un monde en déchéance qui demande à être sauvé.

Un discours de Justin Trudeau à l’Organisation des Nations unies (ONU), reprenant les mots promus par le FEM, a déclenché une alerte générale chez les complotistes. L’extrême droite a vu derrière ce great reset la menace de l’imposition d’un régime socialiste mondial, la volonté d’une élite privilégiée de soumettre l’humanité à des mesures coercitives à consonance communiste qui limiteraient drastiquement ce que cette droite radicale entend par « libertés individuelles ».

Où se situe vraiment le FEM aujourd’hui?

Voilà que le FEM, victime depuis longtemps des critiques acharnées du mouvement altermondialiste – qui avait répliqué en fondant son propre forum, le Forum social mondial –, se fait attaquer par son aile droite paranoïaque qui rejette à la fois son élitisme et son ouverture à des idées progressistes. Cette méfiance est répercutée au Canada tant par le chef conservateur Pierre Poilievre que par Danielle Smith, première ministre de l’Alberta.

Cette année, donc, plus qu’auparavant, le FEM se trouve coincé entre deux adversaires radicalement opposées. D’une part, la gauche toujours aussi critique devant l’institution, et qui se fait prendre quelques idées, en les voyant dénaturées, par le FEM lui-même, cet adversaire les ayant tant méprisées auparavant. D’autre part, l’extrême droite qui reconnaît à peine les grandes crises que nous vivons et qui monte sur ses grands chevaux à la seule évocation de solutions collectives.

Si la lecture du livre de Schwab et Malleret peut impressionner, tant les auteurs reconnaissent leurs erreurs tout en louant et en craignant les apports des mouvements sociaux, il est important de se demander si le FEM a su vraiment évoluer. L’acharnement de l’extrême droite contre lui serait-il vraiment un indice montrant qu’il va dans une meilleure direction?

Le great reset reste un projet très flou, pavé de bonnes intentions, réfléchi en haut lieu et sans la moindre démarche démocratique.

Un parcours des documents exposés sur le site du FEM nous permet de constater que les capitalistes sont prêts à avancer sur deux aspects : la reconnaissance de la diversité et l’environnement.

Rien de trop engageant toutefois. Reconnaître la diversité demeure excellent pour leur image publique tout en ne demandant pas d’investissements importants.

Quant à la protection de l’environnement, elle s’accorde tout à fait avec la mise en place d’un capitalisme vert : grands projets d’énergie renouvelable, promotion de l’hydrogène « vert » et déploiement tous azimuts de la technologie, qui accomplira des miracles.

La principale absente des nouvelles préoccupations du FEM reste la lutte contre les inégalités sociales. Pourtant, le dévoilement de statistiques sur la croissance de ces inégalités par l’ONG Oxfam est l’un des deux plus importants rituels liés au FEM (l’autre étant l’énonciation des plus grands risques auquel fait face le monde, dans le fameux Global Risks Report – le terme « inégalités sociales » n’y apparaît pas, par ailleurs, dans la dernière édition).

La « grande réinitialisation » se fera donc avec des écarts abyssaux de revenus, quoi qu’en dise Klaus Schwab, ce qui démontre le peu d’ambition de cette transformation et devrait rassurer l’extrême droite.

Une ministre pas à sa place

Cette absence de préoccupation pour les inégalités nous ramène au grand problème existentiel de cette messe de l’économie : son élitisme qui n’est jamais remis en question. Il s’agit ici d’un gros maillon faible de la « réinitialisation », de ce qui la rend si peu crédible dès le départ, malgré quelques intentions louables.

Le FEM reste le rendez-vous des élites, dans un des sens les plus restrictifs du terme. La résolution des grands problèmes du monde se fera par des êtres éclairés, puissants, réunis dans un lieu fermé et délibérant les portes closes. Rien de cela n’a changé depuis les débuts du FEM, et on comprend à quel point ce mode de fonctionnent sème la méfiance et stimule les discours complotistes.

La « grande réinitialisation » se fera avec des écarts abyssaux de revenus, ce qui démontre le peu d’ambition de cette transformation et devrait rassurer l’extrême droite.

On retrouve dans la liste des trustees (curateurs) du FEM nulle autre que Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada. Elle y est en excellente compagnie, avec entre autres de grands patrons tels ceux des firmes de gestion d’actifs BlackRock et Carlyle, du groupe d’assurances AXA, de Siemens Energy ou de l’entreprise agroalimentaire Nestlé.

Connaissant son agenda particulièrement bien rempli de ministre, on se demande comment Mme Freeland peut consacrer du temps à un projet aussi démocratiquement douteux que le FEM.

Chrystia Freeland est aussi l’autrice d’un essai au titre révélateur : Ploutocrates : l’ascension des nouveaux ultrariches dans le monde et la chute de tous les autres. Voilà donc qu’elle contribue avec zèle à perpétuer le phénomène dramatique qu’elle a décrit – non sans complaisance, du point de vue de certains de ses lecteurs et lectrices.

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