2023, l’année de l’anti-démocratie?
L’oligarchie, ça suffit, écrivait Hervé Kempf. Semblerait-il que nous en redemandions.
La nouvelle année a commencé à peu près de la même manière que les précédentes avec, au premier chef, le dévoilement du moment où les bandits de grand chemin qui trônent au sommet des fortunes mondiales avaient déjà engrangé l’équivalent du salaire annuel des travailleur·euses moyen·nes. Dans ce pétro-État canadien qui nous tient toujours en otage, c’était le mardi 3 janvier au matin.
Mais malgré cela, partout sur la planète, on parle de temps durs pour les milliardaires, dont le nombre a dangereusement reculé au cours de la dernière année. La planète en a perdu 87 entre 2021 et 2022, leur fortune cumulée ayant fondu elle aussi comme peau de chagrin : 12,7 milliers de milliards $ US* en 2022 contre 13,1 milliers de milliards $ l’année précédente, selon la firme suisse UBS.
C’est, comme le dirait sûrement Pierre Fitzgibbon, un véritable génocide.
C’est en Russie que le nombre d’oligarques a le plus dramatiquement chuté, à coups de sanctions et de gels d’avoirs dans le contexte de la guerre que mène Vladimir Poutine en Ukraine. On n’y compte plus que 83 ultra-riches, dont la fortune cumulée a presque disparu de moitié, chiffrée maintenant à 327 milliards $.
Sur le continent africain, on compte désormais 3 022 ultra-riches ayant un patrimoine de plus de 30 millions $. Ces bandits internationaux possèdent au total 355 milliards $ dollars, selon le cabinet singapourien Wealth-X.
Il s’en trouvera évidemment, surtout parmi la petite élite libérale-bourgeoise, pour vous dire qu’il s’agit là d’un signe d’immense progrès.
La guerre des oligarques
La « communauté internationale » (terme trompeur qui ne désigne finalement que l’Occident) a donc lourdement sanctionné la grande baronnie financière russe depuis le déclenchement de la guerre afin de faire plier le président-tsar, surtout avec l’embargo européen sur le pétrole et le gaz.
On peut douter de l’effet réel de ces mesures, puisque l’Inde et la Chine continueront de transiger avec la Russie, pendant que les citoyen·nes de pays comme l’Allemagne peineront à se chauffer cet hiver.
On aurait aimé voir autant de promptitude à condamner le groupe français Lafarge – où siégeait d’ailleurs Paul Desmarais le Second – pour ses activités et ses transactions avec des groupes terroristes, dont Daech, en 2013.
À croire que « leurs » oligarques subissent un traitement différé par rapport à « nos » oligarques.
Il aura fallu près d’une décennie pour que le géant du ciment paie pour ses crimes verse 778 millions $ pour s’éviter un procès aux États-Unis. De la petite monnaie, considérant que le chiffre d’affaires de LafargeHolcim (devenu seulement Holcim, histoire de capitaliser sur notre amnésie collective) s’élevait à 29 milliards $ en 2021, avec des avoirs totalisant 65 milliards $.
Vous me direz qu’ils sont inculpés en France pour « complicité de crimes contre l’Humanité ». C’était en 2017. Aucune condamnation six ans plus tard. L’odeur de procès-spectacle se rend jusqu’ici.
De la même manière, le Consortium international de journalisme d’enquête révélait à travers les « FinCEN Files » en 2020 que cinq grandes banques mondiales – JP Morgan, HSBC, Deutsche Bank, Standard Chartered Bank et Bank of New York Mellon – avaient participé au blanchiment de milliards $ du crime organisé, notamment des cartels mexicains.
Trois ans plus tard, on attend toujours les inculpations.
N’est-ce pas à croire que « leurs » oligarques subissent un traitement différé par rapport à « nos » oligarques?
L’oligarchie a de beaux jours devant elle.
Qu’on annihile ces cloportes financiers à coups d’imposition, de taxation et de sanctions me semble de plus en plus urgent – imaginons ce que 12 000 milliards $ paieraient en soins de santé, en éducation et en moyens de lutte climatique à l’échelle planétaire!
Mais surtout, c’est bien là que se révèle l’anti-démocratie dans laquelle nous vivons en Occident : les gouvernements se rendent complices de crimes contre l’Humanité que les oligarques commettent dans l’arrière-boutique pendant qu’en vitrine, on nous présente les vertus de la « démocratie libérale ».
La droite brésilienne n’a pas dit son dernier mot
Au Brésil, Bolsonaro, le fanatique religieux, l’homme fort des grands propriétaires terriens fossoyeurs de l’Amazonie, s’est fait montrer la porte par le héros des favelas, Lula,aux dernières élections de novembre. Cette semaine, ses aliénés partisans ont tenté un coup d’État, à la manière de l’assaut du Capitole américain d’il y a deux ans.
Le nouveau gouvernement de Lula bénéficie du soutien de l’ensemble de la « communauté internationale », incluant l’administration Biden. Pourtant, le prédécesseur démocrate de Joe Biden, pour lequel il officiait comme vice-président, avait validé tacitement un coup de l’ultradroite brésilienne contre l’ex-présidente et ancienne résistante antifasciste Dilma Rousseff.
Puis, le président qui a pris la place de Rousseff à la tête du Brésil, Michel Temer – un homme de main de Washington qui a littéralement espionné son pays pour le compte de l’Empire, a révélé WikiLeaks –, a par la suite pavé la voie pour le régime Bolsonaro.
Ne croyez donc pas que la démocratie soit en santé au Brésil. Ni ailleurs, ni nulle part.
L’oligarchie a de beaux jours devant elle.
* Tous les montants sont en $ US.