De Meghan Markle à Laure Waridel : le mépris des chroniqueurs
Il arrive encore souvent que le ton de certaines analyses culturelles flirte avec un machisme désuet. Cette semaine, ce sont certains chroniqueurs du Journal de Montréal et de La journée (est encore jeune) qui ont raté de belles occasions d’utiliser leurs tribunes pour élever les débats.
La méchante sorcière Meghan Markle
Depuis peu, le monde culturel est happé par la sortie d’une série documentaire à propos du fracassant départ d’Harry et Meghan de Buckingham Palace.
Qu’on aime ou qu’on déteste le couple princier, les arguments machistes déployés dans une chronique de Normand Lester dans le Journal de Montréal ont de quoi faire frissonner. Parmi les expressions employées pour décrire l’actrice que l’on a connue dans la série Suits, on trouve les poussiéreuses locutions : « germaine », « femme frustrée », « porter les culottes ». La thèse principale de l’article : Meghan ne serait autre qu’une ensorceleuse qui sait manipuler à bon gré un homme naïf et faible d’esprit.
Norman Lester et l’équipe du Journal de Montréal sont-ils au courant que nous sommes en 2022?
Je suis franchement lassée de ce genre de lettres d’insultes misogynes déguisées en analyses.
J’aurais osé espérer que nous aurions collectivement intégré le fait que les femmes sont des êtres complexes dotés de raison et dont les opinions ou les déceptions ne font pas d’elles des personnes « frustrées ». Que les couples hétérosexuels n’ont pas à reconduire des luttes de pouvoir où deux adversaires se disputent « le port du pantalon ». S’il vous plaît, pourrait-on laisser pour de bon aux oubliettes cette expression dégoûtante qui associe masculinité et pouvoir?
Et je ne suis pas en train de prétendre que Meghan Markle est parfaite ou irréprochable, je voudrais seulement rappeler… qu’on ne la connait pas du tout!
Mais tant qu’à verser dans les tergiversations sur la famille royale, j’aimerais aussi émettre quelques hypothèses. Est-ce qu’il serait possible que Meghan soit épuisée? Parce que, moi, je suis franchement lassée de ce genre de lettres d’insultes misogynes déguisées en analyses. Ça ne me fait pas rire du tout.
Qu’on soit d’accord ou non avec le départ du couple royal, ou avec l’exécution de la série Netflix tirée de cet événement, est-ce qu’on pourrait à tout le moins avoir la décence de ne pas analyser la situation avec des arguments des années 50?
Et qu’importent les escarmouches monarchiques, si le prince Harry a choisi de faire sa vie avec Meghan Markle, je pense qu’on peut affirmer avec pas mal de certitude que ce n’est pas parce qu’elle lui a jeté un sort avec ses pouvoirs magiques de sorcière malveillante. On va se fier à Harry qu’il est capable d’établir ses limites, ok? Je choisis de faire confiance au royal rouquin.
L’histoire qui se répète
Le texte signé par Norman Lester est sous-titré « L’histoire se répète ». Ah là, on est plutôt d’accord.
Sauf qu’on ne voit pas l’histoire de la même manière.
De mon côté, je constate qu’on ressasse encore la même vieille rengaine du choix qu’aurait à faire la famille royale entre la tête et le cœur. Le drame de la famille royale, ce ne sont pas les épouses qui s’y greffent, c’est la manière dont celles-ci sont inlassablement harcelées, objectifiées, traquées.
Et surtout, quelle que soit la manière dont elles font face à ces épreuves (répliquer, demander poliment, se fâcher, mourir dans un accident d’auto en fuyant des paparazzis, quitter la famille royale…), on trouve quand même le tour de les blâmer pour leur détresse.
C’est vrai que l’histoire tend à radoter.
« L’histoire » continue certainement de poser sans cesse les mêmes questions : Meghan détruit-elle l’aura divine des Windsor? Yoko Ono a-t-elle saboté les Beatles? Ève a-t-elle mangé la pomme et plongé Adam dans la misère éternelle?
Et on accuse de mollesse ou d’incompétence crasse les amis de cœur de ces femmes, parce qu’il semble inconcevable qu’un homme puisse choisir de changer de vie sans qu’une compagne ne l’ait envoûté.
Commencez-vous à voir le pattern? C’est vrai que l’histoire tend à radoter.
La femme-enfant
Rassurez-vous, on peut être considérées autrement qu’en sorcière corruptrice, on peut aussi être… une femme-enfant!
Pour faire changement de la démonisation de Meghan Markle, on a pu compter cette semaine sur La journée (est encore jeune) pour faire des blagues aux dépens de Laure Waridel, dont la voix, trop aiguë au goût des animateurs, a servi de lien entre un segment sur l’environnement et un segment sur le travail des enfants.
Diffusant des extraits d’un débat sur la décroissance dont elle était l’une des deux panélistes, ce n’est pas sur son propos que Jean-Philippe Wauthier, Paul Houde et Olivier Niquet ont choisi de rebondir, mais sur ses sonorités vocales. Quinze secondes de l’émission ont ensuite été dédiées à un sordide concert de rires gras.
C’en est gênant.
Le plus surprenant dans tout ça est précisément cette hilarité qu’a occasionnée le commentaire, compte tenu, pourtant, de son désolant manque d’originalité. C’en est gênant. L’association de la tonalité des voix féminines à l’enfance ou aux piaillements est l’un des arguments les plus archaïques pour les tourner en dérision et pour mieux ignorer leurs prises de position.
Pénélope McQuade a également déploré le sentiment d’humiliation qu’elle a ressenti la semaine dernière suite à des commentaires émis dans La journée (est encore jeune), comme si elle se retrouvait dans une cour d’école à se faire ridiculiser par la gang des cools.
Une conversation svp
Chose certaine, il serait appréciable que ces chroniqueurs aient au moins le respect de ne pas imposer cette violence au public. Je dis « au public » parce que Waridel était absente à la table de La journée (est encore jeune) et j’oserais affirmer avec assurance que Meghan Markle ne lira pas l’article du Journal de Montréal.
Alors c’est sur nous tous et toutes que ces commentaires et railleries désobligeantes se réverbèrent, tandis qu’on essaye simplement de lire le journal ou d’écouter la radio en sirotant notre café avant d’aller combattre le patriarcat dans le monde du travail.
Combien de doctorats, de succès, d’années d’expérience et quelle quantité de professionnalisme et de rigueur faudra-t-il encore déployer pour ne pas être réduites à des archétypes? Pour que le fond de nos prises de parole soit entendu davantage que la forme?
Conversez avec nous, s’il vous plaît. On ne demande que ça.