
Article de l'Initiative de journalisme local
Se réapproprier l’histoire autochtone via TikTok
Depuis plus d’un an, Nicole Janis Qavavauq-Bibeau utilise la plateforme pour sensibiliser le public aux enjeux qui touchent les communautés autochtones du Québec.
Nicole Janis Qavavauq-Bibeau vient tout juste de compléter, aux côtés de cinq autres jeunes Inuit, un programme de formation TikTok, plateforme où elle cumule plus de 5000 abonné·s. Elle y aborde des enjeux qui continuent d’affecter les communautés, notamment la surreprésentation des femmes autochtones parmi les personnes disparues et assassinées au Québec.
En dehors de ses activités sur les réseaux sociaux, elle travaille en tant que coordinatrice de recherche pour Iskweu, ce projet du Foyer des femmes autochtones de Montréal qui vient en aide aux familles lorsqu’une femme de la communauté manque à l’appel.
À 27 ans, Mme Qavavauq-Bibeau a la lourde tâche de recenser, pour la première fois au Québec, les cas de femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Dans son rôle, elle construit une base de données qui recense les cas au Québec. Il n’existe aucun autre recensement de ce genre dans la province à ce jour.
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Elle-même a connu de près cette dure réalité. « Ma grand-mère a été assassinée en 2005 et ma mère est décédée dans des circonstances un peu nébuleuses l’année suivante », raconte-t-elle.
Malgré la gravité de la chose, elle est calme, souriante, animée par une détermination tenace.
« Les gens ne connaissent pas vraiment mon travail et ils ne comprennent pas le fléau auquel on fait face », pose-t-elle en expliquant ce qui motive sa présence sur TikTok.
Pour en finir avec le silence
Sur son compte TikTok (@arcticfrostbyte), Mme Qavavauq-Bibeau tient une série sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées, où elle présente les faits et lance parfois des appels aux personnes ayant plus d’informations.
« J’espérais que les gens dans les communautés voient ça et puissent peut-être aider à résoudre des cas. » Et ça fonctionne. La jeune femme affirme avoir pu identifier une victime à travers ses activités sur le réseau social.
« Nos traumatismes ont longtemps été gardés secrets. Moi, au contraire, je trouve ça important d’en parler », explique la jeune femme. Pour elle, cela représente un premier pas dans le processus de guérison intergénérationnel.
Au-delà des femmes autochtones disparues et assassinées, elle aborde plus largement sur son compte TikTok les enjeux sociohistoriques qui continuent d’avoir un impact aujourd’hui et qui permettent de contextualiser la question des meurtres et des disparitions.
« Ce sont plusieurs générations qui vivent avec les traumatismes » des pensionnats autochtones, illustre-t-elle. Elle insiste sur la complexité du phénomène et ses conséquences à long terme, même sur les générations qui n’ont pas connu les pensionnats, la délocalisation des Inuit dans l’Arctique, l’abattage des chiens de traineaux par le gouvernement… La liste est longue.
« Nos traumatismes ont longtemps été gardés secrets. Moi, au contraire, je trouve ça important d’en parler. »
Nicole Janis Qavavauq-Bibeau
Là aussi, TikTok est selon elle un moyen de briser le silence et de rejoindre une audience plus large, plus diversifiée et qui tarde à être sensibilisée aux enjeux qui touchent la communauté. C’est l’occasion de reprendre le contrôle de sa propre histoire.
« Avant, dans les années 2000, quand on parlait des femmes autochtones disparues ou assassinées, on mettait l’accent sur le fait qu’elles étaient par exemple des travailleuses du sexe, qu’elles vivaient dans la rue. Tout était négatif », explique la jeune femme Inuk. « On ne se posait jamais la question à savoir pourquoi elle était dans cette situation. »
« Je pense que tranquillement pas vite, on reprend le récit qui nous a été enlevé pendant trop longtemps. Il y a quelque chose de puissant là-dedans. »
Retrouver sa communauté en ligne
« J’espère aussi qu’avec TikTok, je peux renouer avec ma culture », explique la jeune femme. « Puisque j’ai perdu ma grand-mère et ma mère quand j’étais jeune, je n’ai pas beaucoup de liens avec ma communauté. »
Selon elle, cela démontre bien toute la fragilité de la culture.
Dans une de ses vidéos, elle présente le compte d’un aîné Inuk (@itivimmiut) qui utilise la plateforme pour enseigner l’inuktitut. « Je n’ai jamais eu la chance d’avoir accès à des cours de langue », a-t-elle expliqué à ses abonné·es. « Ça vaut de l’or ».
Pour elle, la plateforme permet de créer des liens d’entraide. Elle pense notamment à ceux qu’elle a développés avec d’autres tiktokeurs autochtones comme Xavier Watso (@Watso_), Catherine Boivin (@Otehima) et Stéphanie Iancy (@stephanie.iancy).
« C’est ce que j’aime de cette communauté, on se soutient – même si on ne s’est jamais vus en vrai! » s’exclame-t-elle.