
Cinq étapes vers la décroissance pour préserver la biodiversité
La marche vers la décroissance économique devra s’amorcer rapidement si on souhaite renverser la vapeur sur la crise de la biodiversité.
Stopper l’effondrement du vivant ne se fera pas sans revoir les fondements de notre économie selon des expert·es réuni·es dans le cadre d’un forum organisé par le Collectif COP15. Pour y arriver, nous devrons repenser la transition énergétique, réduire le temps de travail, transformer l’agriculture, modifier notre alimentation et revoir notre conception de la propriété.
Mercredi soir avait lieu la présentation Décroissance : les premiers jalons à poser d’ici cinq ans. L’événement était organisé en marge de la Conférence de l’ONU sur la biodiversité, en cours à Montréal.
L’idée voulant qu’on puisse réduire nos impacts écologiques tout en continuant à accroitre notre production économique relève du mythe, prévient l’économiste Éric Pineault. Mais elle continue pourtant de guider les décisions des gouvernements. Pour lui, nous devons donc changer notre conception de l’économie pour y intégrer des notions de décroissance, ce qui peut être fait en posant des actions concrètes dès les prochaines années.
1. Repenser la transition énergétique
L’idée dominante selon laquelle on peut simplement remplacer les hydrocarbures par de l’énergie « verte » et continuer comme avant pose un très grand risque pour la biodiversité, remarque Éric Pineault. « Pour extraire les matériaux dont on a besoin pour faire des batteries, on va devoir choisir entre saccager la Bolivie, le Chili et le Pérou, ou alors la région entre Montebello et Yamachiche », explique-t-il.
Il faudrait plutôt réfléchir collectivement à une nouvelle organisation économique beaucoup plus sobre en énergie, propose-t-il.
C’est pourquoi il espère une réelle discussion publique sur les effets et la nature de la transition qui s’amorce. Pour cela, les Québécois·es devront mettre de la pression sur leur gouvernement, prévient-il. « Il faut un mouvement qui se mettra en branle dès la prochaine année pour demander à la CAQ de ne pas faire un débat à trois avec Sophie Brochu [PDG d’Hydro-Québec], Pierre Fitzgibbon [ministre de l’Économie et de l’Énergie] et François Legault. Il faut se sortir de ce piège-là, on ne peut pas accepter ça. »
« On va devoir choisir entre saccager la Bolivie, le Chili et le Pérou, ou alors la région entre Montebello et Yamachiche. »
Éric Pineault
2. Réduire le temps de travail
Pour que l’ensemble de la population puisse s’impliquer dans le débat sur la transition et dans le changement de nos modes de vie, il faudra toutefois que nous disposions de beaucoup plus de temps libre, prévient Maude Prud’homme, déléguée à la transition au Réseau québécois des groupes écologistes.
« Réduire le temps de travail à l’échelle sociétale est une chose tout à fait réalisable, mais il ne faut pas voir ça comme du temps de loisir », avance-t-elle. « Si l’on veut avancer sans hydrocarbures et sans [batteries au] lithium, ça va prendre beaucoup d’huile de coude. »
3. Transformer l’agriculture
Un des domaines où l’on aura besoin de beaucoup plus d’« huile de coude » pour vivre en respectant la biodiversité est l’alimentation, poursuit-elle. « Si on veut s’en sortir, il va falloir que beaucoup plus de gens apprennent à désherber », illustre-t-elle.
En effet, ce sont les hydrocarbures et la logique de croissance économique qui ont permis de créer notre société où seulement 5 % des gens travaillent à cultiver la terre et où 95 % des autres sont affectés à autre chose, explique Éric Pineault. Changer cela sera un défi culturel immense pour nous, prévient-il, mais pas pour une grande proportion de la population mondiale dont le mode de vie est encore essentiellement agraire.
4. Repenser l’alimentation
Cette redéfinition du monde agraire doit toutefois s’accompagner d’une transformation radicale de nos régimes alimentaires, prévient Andréa Levy, chercheuse chez Polémos. « Il est impossible de parler sérieusement de la biodiversité […] sans parler de ce qu’on mange, et plus particulièrement de la viande et des produits issus de l’agriculture animale », souligne-t-elle.
Elle rappelle que le système de production qui mène à élever, nourrir et abattre des milliards d’animaux chaque année pour se nourrir est l’un des moteurs principaux de l’extinction des espèces. « On ne peut simplement pas perpétuer l’agriculture animale sous une échelle industrielle et penser combattre la mort lente du monde naturel dont nous dépendons », explique-t-elle.
« Il est impossible de parler sérieusement de la biodiversité sans parler de ce qu’on mange. »
Andréa Levy
Elle concède que cela nécessitera un grand changement culturel, mais ce ne serait pas une excuse valable pour reculer, selon elle. « On dit que les habitudes alimentaires sont profondément ancrées dans la culture [donc difficile à changer], mais on pourrait bien dire la même chose du sexisme et du racisme », remarque-t-elle.
5. De la propriété privée à la mise en commun
Un autre changement culturel et économique majeur que nous devrons mettre en œuvre rapidement est celui de notre rapport à la propriété, ajoute Maude Prud’homme. « On doit apprendre à partager, parce qu’on doit se le dire, on n’est pas super bons », remarque-t-elle.
La mise en commun peut prendre plein de formes, selon Éric Pineault. « Ça peut être des fiducies financières, des cuisines collectives, des jardins collectifs, des outils que l’on pourrait emprunter à la bibliothèque municipale… Ça peut être aussi simple que la mise en commun d’une perceuse à percussion et aussi compliqué que la planification de l’économie », explique-t-il.
« On doit apprendre à partager, parce qu’on doit se le dire, on n’est pas super bons. »
Maude Prud’homme
Ce changement de mentalité et d’organisation sociale devra toutefois se faire progressivement, selon Maude Prud’homme. « C’est compliqué, mais c’est inévitable et nécessaire. C’est pour ça qu’on va se pratiquer avec des choses simples comme des drills, avant de mettre en commun des choses plus complexes. » Mais cela n’empêche pas de commencer dès maintenant le chemin de la décroissance – au contraire.