COP15 : l’écologisme est-il le nouvel anticapitalisme?
On entend souvent que les plus jeunes auraient abandonné l’anticapitalisme. Mais les « nouveaux » fronts de lutte participant des mobilisations pour la justice sociale et l’écologisme ne seraient-ils pas – au moins en partie – un nouvel anticapitalisme?
Malgré bien des efforts, l’anticapitalisme n’a jamais été une grande force politique en Amérique du Nord, même si des mobilisations anticapitalistes surgissent au fil des générations, dont l’altermondialisme vers 2000 et Occupy en 2011. Dans les réseaux anticapitalistes, la ligue du vieux poêle au charbon reproche pourtant aux jeunes de génération en génération de se désintéresser de l’anticapitalisme pour embrasser des causes « identitaires » plus ou moins insignifiantes, comme le féminisme, l’antiracisme et les luttes décoloniales.
On entendait déjà cette critique au 19e siècle, alors que des socialistes et des anarchistes reprochaient aux féministes de détourner les femmes de la cause principale, l’anticapitalisme, de fragmenter le mouvement ouvrier et même de faire le jeu de patronat en acceptant des emplois à bas salaire. On qualifiait alors les féministes de « bourgeoises » et d’« individualistes », aujourd’hui on les traite de « libérales » et de « postmodernes » (même si le féminisme existait avant la modernité – voir Marie de Gournay et François Poullain de la Barre – et pendant toute la modernité).
Certains anticapitalistes du 20e siècle étaient même contre la décolonisation, prétextant qu’il fallait plutôt que les classes ouvrières de la métropole et des colonies s’unissent dans un grand mouvement révolutionnaire transnational.
Le capitalisme a récupéré l’art, la nourriture, l’amour… Faudrait-il pour autant renier tout cela, et vivre seul et nu sur une roche?
Aujourd’hui, quelques camarades se font une spécialité de critiquer les féministes et les antiracistes, au nom de l’unité dans la lutte… Or leurs critiques reposent sur plusieurs oublis.
Nous transformer nous-mêmes
On oublie que les luttes féministes et antiracistes sont malheureusement trop souvent nécessaires à l’intérieur même d’organisations progressistes et même anticapitalistes, où subsistent du sexisme et du racisme, et même du harcèlement et des agressions sexuelles qui n’ont rien de « postmodernes ».
Ce sont ces graves problèmes qui provoquent la fragmentation de nos mouvements et nuisent à la lutte commune.
Mener plusieurs luttes de front
On oublie qu’on peut faire trois choses en même temps : être féministe, antiraciste et anticapitaliste.
D’ailleurs, les catégories les plus favorables au socialisme sont les jeunes, les femmes et les personnes racisées. Aux États-Unis, 38 % de la population est favorable au socialisme, mais surtout les jeunes de 18 à 34 ans (47 %), les femmes (43 %) et même la majorité des personnes « non blanches » (54 %). Les catégories les moins favorables au socialisme sont les hommes (34 %) et les personnes blanches (31 %).
Au Canada, le taux d’appui au socialisme est aussi plus élevé chez les jeunes de 18 à 34 ans (63 %) et les femmes (62 %).
On oublie qu’il y a du sexisme et du racisme dans le capitalisme, préférant reprocher au féminisme et à l’antiracisme d’avoir été récupérés par le capitalisme et ridiculiser les programmes lancés par de grandes firmes pour la diversité et contre la discrimination, le harcèlement et les agressions sexuelles au travail (souvent après des poursuites devant les tribunaux). Évidemment, ces mesures d’équité ne détruisent pas le système capitaliste, pas plus que d’introduire des personnages féminins ou racisés dans les grandes productions cinématographiques de Netflix (50 milliards $ d’actifs) ou de Disney (200 milliards $ d’actifs) pour augmenter les profits.
On peut faire trois choses en même temps : être féministe, antiraciste et anticapitaliste.
Mais le droit de se syndiquer ne détruit pas non plus le capitalisme, pas plus que d’importants gains du mouvement ouvrier comme le salaire minimum, la réduction du temps de travail et des mesures de prévention d’accidents de travail. Doit-on pour autant renier le syndicalisme?
Au-delà de la récupération
On oublie que le capitalisme récupère absolument tout, le féminisme et l’antiracisme tout comme la révolution elle-même – comme le rappelle le marxisme au sujet des révolutions « bourgeoises » républicaines françaises et américaines, mais aussi la vente du visage du Che Guevara, d’albums de musique punk sous de grands labels ou des films comme The Matrix ou V for Vendetta.
Le capitalisme a aussi récupéré le nationalisme, qui a poussé les masses à participer à la compétition économique (voir à ce sujet la sociologue Liah Greenfeld) et l’État à subventionner « nos » entreprises du Québec inc. au nom de la fierté nationale. Sans oublier que Pierre Karl Péladeau (neuvième plus grande fortune de la province) a été à la tête du Parti québécois.
Le capitalisme a aussi récupéré l’art, les sports, l’éducation, l’humour, la nourriture, l’amour, la sexualité, la mort, certains conseils de bande autochtones et même la démocratie directe, lors des assemblées d’actionnaires ou de copropriétaires. Faudrait-il pour autant renier tout cela, et se contenter de vivre seul et nu sur une roche – en espérant ne pas être sur un claim minier, puisque le capitalisme a aussi récupéré l’environnement et même la biodiversité. Doit-on pour autant renier l’écologisme?
Miser sur l’écologisme
Enfin, on oublie que la cause première de la jeune génération reste l’écologisme, qui est pour plusieurs une forme d’anticapitalisme se préoccupant certes moins des rapports de production (exploitation au travail), mais radicalement critique de la surproduction, de la surconsommation, de la commercialisation du vivant et des alliances entre les politiques et les firmes multinationales (pétrole, automobiles, etc.).
Voilà sans doute pourquoi les polémistes réactionnaires au service du grand capital médiatique qui vomissent régulièrement leur haine contre les féministes et les antiracistes ont également pour cible Greta Thunberg et le mouvement de la jeunesse pour le climat.
« Notre système économique, le capitalisme, est à l’origine de ce problème : seule sa remise en question peut nous permettre de sauver ce qui peut encore l’être. »
L’écologisme anticapitaliste ne prend peut-être pas la forme classique d’un engagement dans un groupe maoïste ou dans un syndicat révolutionnaire, mais voilà que des jeunes et des moins jeunes convergent aujourd’hui dans la Coalition anticapitaliste et écologiste contre la COP15, soit la Conférence de l’ONU sur la biodiversité qui tiendra sa prochaine réunion du 7 au 19 décembre au Palais des congrès de Montréal. Plusieurs associations étudiantes seront en grève pour participer aux manifestations de la Coalition anticapitaliste autour du Palais des congrès.
Il est reproché à la COP15, entre autres, de définir la « biodiversité » de manière à favoriser la prise de contrôle de « ressources naturelles » par de grandes firmes internationales, en particulier dans les pays du Sud.
Même les forces plus réformistes qui enverront des délégations officielles pour participer à la COP15 espèrent qu’il y aura des mobilisations dans la rue, pour faire pression sur les négociations.
Mais, comme l’explique la Coalition anticapitaliste et écologiste, « notre système économique, le capitalisme, est à l’origine de ce problème : seule sa remise en question peut nous permettre de sauver ce qui peut encore l’être ».
Est-ce que la mobilisation sera conséquente? Difficile de le prédire, même si, en 2019 et en 2020, s’étaient tenues à Montréal les plus grandes manifestations du mouvement de la jeunesse pour le climat. On peut à tout le moins espérer que cette génération qui terminait alors ses études secondaires soit maintenant au cégep et même à l’université, ce qui pourrait insuffler une combativité au mouvement étudiant dans les prochaines années dans une perspective écologiste et possiblement anticapitaliste.
Alors, on se retrouve dans la rue?
Calendrier des manifestations contre la COP15 : les manifestations de la Coalition anticapitaliste et écologiste auront lieu le 7 décembre (7 h à la Place d’Armes; 9 h au cégep du Vieux Montréal; 10 h 30 à l’UQAM, rues Sainte-Catherine et Saint-Denis) et le 9 décembre (15 h au carré Saint-Louis). Le 10 décembre aura lieu la « Grande marche pour le vivant », où se retrouvera un contingent anticapitaliste (13 h au monument Sir George-Étienne Cartier).