Alors que le taux de syndicalisation au Québec est de 40 %, à peine 5 % des organismes communautaires sont syndiqués. Or, lettre ouverte après lettre ouverte, le personnel du milieu communautaire dénonce le fait que son travail soit mal reconnu et peu valorisé. Pourquoi ces conditions ne nourrissent-elles pas alors une plus importante syndicalisation?
« Il y a des a priori à propos du syndicalisme, dans le milieu communautaire comme ailleurs, qui font en sorte que les gens associent ça à une forme de rigidité ou d’intransigeance », explique d’emblée Laurent Thivierge, secrétaire général de la Fédération des syndicats de l’action collective (FSAC-CSQ), qui représente des organismes communautaires comme SOS violence conjugale ou L’Itinéraire. « Il y a une crainte que la syndicalisation se fasse au détriment de la mission des organismes, alors que notre but est plutôt d’assurer qu’elle soit maintenue. »
Deux intervenant·es du milieu communautaire interviewé·es pour cet article, mais souhaitant garder l’anonymat, parlent à cet égard d’une « culture du martyr » pour expliquer le bas taux de syndicalisation du secteur. Dans un contexte où le financement est toujours insuffisant, il serait encore tabou de demander trop fort de meilleures conditions de travail, puisque cela nuirait à l’offre de service des organismes, aux yeux de certain·es.
Peur de la confrontation
Le fractionnement du milieu communautaire en une multitude de petites équipes ne favorise pas non plus sa syndicalisation. De fait, la proximité des membres d’un organisme, où tout le monde peut se connaître, pose un défi : « les employé·es veulent éviter une atmosphère de confrontation avec le reste du groupe, alors que le patron d’aujourd’hui est parfois le collègue d’hier », explique Laurent Thivierge de la FSAC-CSQ.
Or, selon Laurie Boivin, déléguée syndicale de l’organisme Pech à Québec, cela dépend de l’approche adoptée par le syndicat. « Dans mon cas, les rapports avec la direction sont bons et la communication est même meilleure », précise-t-elle.
« Il y a une crainte que la syndicalisation se fasse au détriment de la mission des organismes, alors que notre but est plutôt d’assurer qu’elle soit maintenue. »
Laurent Thivierge, FSAC-CSQ
Il faut dire, selon elle, que « le syndicalisme en milieu communautaire peut avoir sa propre dynamique », sortant du rapport binaire entre employé·e·s et direction. En effet, parler de conditions de travail dans ce contexte implique aussi de considérer des facteurs extérieurs à l’organisme, comme le financement public, et donc, d’avoir un regard et un discours plus larges que la simple « confrontation » interne.
Défi légal
Reste alors une embûche légale à la syndicalisation de ces petites équipes, de cinq ou six personnes parfois. Car s’il est peu réaliste de les syndiquer une à la fois, la loi syndicale ne permet pas non plus de les syndiquer en bloc.
Pour outrepasser l’interdiction des conventions collectives multi-employeurs, il faudrait en fait l’adoption d’une loi venant encadrer un régime spécifique de représentation, comme dans la construction ou les services de garde en milieu familial.
Or cette avenue légale, de l’aveu de Catherine Jetté de la Table régionale des organismes communautaires de la Montérégie, demanderait une forte mobilisation du milieu communautaire. Ce qui n’est pas simple, vu la fragmentation du secteur en milliers de petites unités aux visions hétérogènes.
« Je ne pense pas que ce soit dans l’intérêt du législateur non plus », ajoute M. Thivierge. L’État québécois profiterait ainsi de la sous-traitance à rabais de ses missions sociales par le milieu communautaire, selon lui.
Manque d’argent
De son côté, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) « reconnaît que la syndicalisation est un moyen légitime à la disposition des travailleur·euses pour négocier collectivement les conditions de travail », mais n’en fait pas pour autant une priorité, invoquant à ce sujet « l’autonomie des organismes ».
Tristan Ouimet-Savard, responsable de la mobilisation et de l’éducation populaire pour le RQ-ACA, indique par courriel que le principal cheval de bataille du Réseau est plutôt « le rehaussement du financement à la mission globale » des organismes, c’est-à-dire leur financement récurrent. « Car en haussant le financement aux organismes, ceux-ci ont davantage de ressources pour améliorer les conditions de travail de leurs travailleur·euses », précise-t-il.
Mais cette équation est remise en question par Catherine Jetté. « Si demain, le gouvernement accorde 500 millions $ de plus aux organismes communautaires, est-ce que cela va automatiquement entraîner de meilleures conditions de travail pour les salarié·es? »
En fait, Laurie Boivin fait remarquer que les organismes se retrouvent souvent en compétition pour obtenir ce précieux financement, alloué par projet ou par entente de services quand il n’est pas dédié à la mission globale. Ainsi prises dans le calcul de la plus basse soumission, les conditions salariales ne peuvent qu’en pâtir.
« Si demain, le gouvernement accorde 500 millions $ de plus aux organismes communautaires, est-ce que cela va automatiquement entraîner de meilleures conditions de travail pour les salarié·es? »
Catherine Jetté
D’où l’intérêt, selon elle, d’une plus grande solidarité entre les travailleur·euses de tous les organismes communautaires, que cela passe par la syndicalisation ou par d’autres initiatives militantes.
Laurent Thivierge note que le secteur communautaire n’est pas non plus à l’abri de la « gestion style HEC, plus verticale » et des pressions venant de bailleurs de fonds qui exigent des « redditions de compte ».
Ni d’ailleurs d’un « climat de travail toxique » comme l’ont dénoncé cet été les employé·es de S.O.S violence conjugale, représenté·es par la FSAC-CSQ.
Le contrat de travail serait ainsi un bon moyen, selon le secrétaire général de la FSAC-CSQ, pour protéger le personnel du milieu communautaire du caractère arbitraire des relations de travail, qui dépendent dans bien des cas de la personnalité ou des valeurs de la direction.