Daniel Desharnais, sous-ministre, Christian Dubé, ministre de la Santé et Luc Boileau, directeur de la Santé publique, en conférence de presse le 16 novembre
Nouvelle

L’Association des pédiatres milite contre la science et le gouvernement l’écoute

L’APQ s’écarte du consensus scientifique sur le masque à l’école, mais flirte avec les théories d’un think tank libertarien.

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De nouvelles études prouvent noir sur blanc que le port du masque est très efficace pour limiter la transmission de la COVID-19 et du VRS (virus respiratoire syncytial) dans les écoles. Pourtant, mercredi, la Santé publique et le gouvernement ont recommandé le port du masque dans tous les lieux publics achalandés… sauf dans les écoles. Derrière cette décision : l’étonnant lobby de l’Association des pédiatres du Québec.

Deux jours plus tôt, en Ontario, le médecin hygiéniste en chef, le Dr Kieran Moore, recommandait le port du masque dans les écoles. Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, et le Dr Luc Boileau, directeur de la Santé publique, ont décidé de ne pas suivre cette voie. Ils écoutent plutôt les avis plus que douteux de l’Association des pédiatres du Québec.

Questionné en conférence de presse sur ce qui a motivé cette décision, le Dr Boileau a dit qu’il avait discuté avec des pédiatres, au premier chef avec la Dre Marie-Claude Roy, présidente de leur association. « Et nous avons convenu de dire que systématiquement, dans le milieu scolaire, on ne recommande pas, en ce moment, de porter le masque, ni à la garderie », a-t-il dit.

« Nous savons aussi, avec les données qu’on a cumulées au fil des deux dernières années, que ça pose une difficulté de porter le masque en permanence dans l’école », a-t-il ajouté, flanqué de Christian Dubé, ministre de la Santé, et de Daniel Desharnais, un relationniste nommé sous-ministre par le gouvernement Legault.

Les avis douteux des pédiatres québécois

Depuis le début de la pandémie, l’Association des pédiatres du Québec se distingue des associations semblables au Canada et aux États-Unis. La Société canadienne de pédiatrie recommande le port du masque chez les enfants et considère qu’il ne leur nuit pas, même lorsqu’ils sont asthmatiques. Les masques sont utiles et n’entravent aucunement la respiration, souligne l’Académie pédiatrique des États-Unis.

Des pédiatres québécois ont flirté la stratégie de l’immunité collective telle que promue par un think tank de la la droite libertarienne américaine.

L’Association des pédiatres du Québec, elle, milite contre le port du masque. Elle en faisait déjà la demande au printemps 2021. Elle s’adressait alors au premier ministre et soutenait que « l’impact négatif du port continu du masque chez les tout-petits a été peu étudié ».

« Nous demeurons inquiets des conséquences à moyen et long terme sur les apprentissages, la concentration, la communication et la socialisation des plus jeunes », ajoutait-elle. « Il faut donc dès maintenant prévoir les conditions permettant de retirer cette mesure, notamment lorsque les plus vulnérables auront été vaccinés », ajoutait-elle. « Le masque ne doit pas devenir la nouvelle norme pour la rentrée scolaire 2021. »

Or, rien ne prouve que le masque nuit aux apprentissages et à la socialisation des plus jeunes. Jusqu’à maintenant, les études pointent vers un impact minimal.

En février dernier, le Dr Boileau avait affirmé avoir proposé de retirer les masques dans les écoles après avoir entre autres consulté une recension des études faites par l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ). Faux, a répliqué l’OOAQ, qui a précisé n’avoir jamais envoyé une telle une recension.

« Soulignons d’emblée qu’à ce jour, il n’y a pas de données scientifiques qui permettent de conclure hors de tout doute que le port du masque entraîne des impacts significatifs sur le développement et les apprentissages des enfants », écrivait l’Ordre dans un courriel au Dr Boileau.

« Des orthophonistes nous disent que les enfants qui portent le masque cessent de parler », affirmait de son côté la Dre Marie-France Raynault, conseillère médicale stratégique principale pour le gouvernement. « Ce n’est pas ce qu’on lui a dit », a réagi le président de l’OOAQ, Paul-André Gallant.      

En revanche, les preuves de l’efficacité du masque sont éloquentes, non seulement contre la transmission de la COVID-19, mais aussi contre le virus respiratoire syncytial (VRS), cause importante de l’actuel engorgement des urgences pédiatriques. La COVID et le VRS sont deux des trois membres du « trio » viral que veut combattre le gouvernement, le troisième étant la grippe.

Le port du masque dans les écoles réduit la transmission de la COVID-19 de façon marquante, selon une étude qui vient de paraître dans le New England Journal of Medicine (NEJM). La recherche a été faite quand l’obligation du port du masque a été levée dans le grand Boston le printemps dernier, à l’exception de deux districts scolaires. Les chercheur·euses ont comparé le taux d’infection entre les écoles où le masque restait obligatoire et les autres.

Le taux d’infection s’est avéré sensiblement plus bas chez les élèves masqué·es, même dans les vieilles écoles des quartiers défavorisés, que dans les écoles plus neuves de quartiers plus aisés. Cette information devrait dissiper les doutes quant à l’utilité du masque à l’école contre la transmission des virus, écrit une professeure de l’École de santé publique de Boston dans un éditorial accompagnant l’article dans le NEJM.

Les preuves de l’efficacité du masque sont éloquentes, contre deux virus qui alimentent l’engorgement actuel des urgences pédiatriques.

La COVID-19 se transmet à l’école, est ensuite apportée à la maison, puis finit par infecter les enseignant·es. Bref, la transmission du virus à l’école nourrit la pandémie, laquelle continue de faire des ravages au Québec. Mercredi, on recensait 54 nouveaux décès en 24 heures. Depuis le début de l’année, on compte 5 351 décès, contre 3 296 à pareille date l’année dernière.

Tout comme le virus de la COVID-19, le VRS – qui affecte particulièrement les enfants – peut se transmettre par aérosols, d’où l’importance du masque (et de la ventilation, autre dossier négligé par le gouvernement québécois). Une toute nouvelle étude réalisée à Ottawa démontre son utilité contre la transmission du VRS.

Pivot a demandé à l’Association des pédiatres du Québec sur quoi s’appuie la recommandation qu’elle a faite à la Santé publique et au gouvernement contre le port du masque en classe. Au moment de la publication, l’Association n’avait pas répondu à notre demande.

Un combat rétrograde

Depuis le début de la pandémie, l’Association des pédiatres du Québec multiplie les interventions non seulement contre le masque, mais plus généralement contre le resserrement des mesures sanitaires.

Le 23 avril 2020, alors que la première vague de COVID frappait de plein fouet et tuait des centaines de personnes, l’Association enjoignait le gouvernement de tout de suite rouvrir les écoles pour le bien des enfants. « Tôt ou tard, il faudra qu’ils soient exposés au virus », affirmait-elle dans un communiqué. Message implicite : puisqu’ils tombent rarement gravement malades, laissez donc les enfants s’infecter.

Les opinions de l’Association semblent s’appuyer beaucoup plus sur l’idéologie que sur la science, aucune étude sérieuse ne soutenant ses prises de position.

Cette position était non sans similitude avec la Déclaration de Great Barrington, élaborée sous les auspices du American Institute for Economic Research, un think tank de la droite réactionnaire travaillant en partenariat avec un autre institut fondé par le magnat libertarien du pétrole Charles Koch. La déclaration, immédiatement endossée par l’administration Trump, faisait la promotion de « l’immunité collective », qualifiée de non scientifique, dangereuse et totalement insensée par le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses.

Des pédiatres québécois ont flirté avec cette stratégie, dont la Dre Annie Janvier, membre de l’Unité d’éthique clinique au CHU Sainte-Justine, qui a signé la Déclaration. Séduit par l’idée, le premier ministre François Legault a envisagé publiquement d’adopter cette stratégie au printemps 2020, avant de l’abandonner. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, le prévenaient que c’était une voie dangereuse.

Toujours en 2020, à l’été, le Dr Marc Lebel, alors président de l’Association des pédiatres, critiquait la demande formulée par une quinzaine de ses membres (et plus d’une centaine de médecins et d’expert·es québécois), qui priaient le gouvernement d’imposer le port du masque en classe, tant au primaire qu’au secondaire.

En octobre 2020, l’Association affirmait que les restrictions en chaîne risquaient de provoquer « une 4e vague bien plus dévastatrice » que les autres, qui engendrerait rien de moins que le « sacrifice générationnel » des adolescent·es.

Les opinions de l’Association semblent donc s’appuyer beaucoup plus sur l’idéologie que sur la science, aucune étude sérieuse ne soutenant ses prises de position.

Pendant ce temps, les urgences pédiatriques débordent d’enfants qui ont besoin de soins importants, et même d’être transférés dans les soins intensifs. Aux États-Unis, les hospitalisations dues à la COVID-19 augmentent chez les enfants de moins de six mois, et un enfant de moins de cinq ans est mort des suites du VRS.

Voilà des « sacrifices » bien réels qu’il faudrait éviter à tout prix chez nous.

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