La décarbonation de l’industrie ne peut pas être laissée aux industriels

Une part démesurée des GES du Québec est émise par des industries qui ont un grand pouvoir sur l’économie de leur région.

La facture carbone des plus grands émetteurs de la province est trop élevée pour que nous puissions atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre, selon une analyse de l’Institut de recherche et d’information sociologique (IRIS). Ces entreprises étant toutefois centrales dans l’économie de leur région, la transition industrielle pourrait entrainer une crise sociale si elle n’est pas réfléchie démocratiquement.

Les 72 sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre (GES) sont responsables des trois quarts des émissions de l’industrie québécoise, tout en générant moins de 1 % des emplois dans la province, selon la recherche de l’IRIS. « Elles alourdissent le bilan  GES de la province de façon disproportionnée par rapport à leur apport économique réel », remarque Colin Pratte, coauteur de l’étude.

Certaines entreprises ont un impact encore plus marqué, remarque-t-il. Ainsi, seulement dix établissements sont responsables de la moitié des émissions de GES du secteur industriel québécois et de 15 % de l’ensemble des émissions de la province, selon les données du ministère de l’Environnement.

Parmi celles-ci on retrouve une cimenterie ainsi que plusieurs représentants du domaine des pâtes et papiers, de la pétrochimie et de la métallurgie. Les trois plus grands émetteurs québécois de 2020 étaient Fibrek S.N.E.C. à Saint-Félicien (1), Ciment McInnis à Port-Daniel (2) et la raffinerie Jean-Gaulin à Lévis (3).

« Les actionnaires principaux de ces entreprises sont situés à l’étranger. Donc non seulement ce sont des industries qui pèsent très lourd sur le bilan GES du Québec, mais les profits de ces activités-là sont envoyés à l’étranger », observe Colin Pratte.

Pas d’améliorations significatives en vue

Les plus grands émetteurs québécois n’ont d’ailleurs pas amélioré leur bilan depuis l’instauration de la bourse du carbone par le gouvernement du Québec en 2012, selon un examen des données du ministère réalisé par Pivot.

Cette mesure est pourtant toujours présentée par le gouvernement comme un moyen efficace pour « inciter les entreprises et les citoyens à innover et à modifier leurs comportements afin de réduire les émissions de GES ».

La transition, l’affaire de tou·tes

Toutefois, les grands pollueurs sont souvent au cœur de l’économie de leurs régions respective, prévient Colin Pratte. Dans certaines municipalités de la province, plus de la moitié de la population active dépend d’une de ces entreprises comme source de revenus, selon l’analyse de l’IRIS.

« Ce sont des industries qui pèsent très lourd sur le bilan GES du Québec, mais les profits de ces activités-là sont envoyés à l’étranger. »

Colin Pratte, IRIS

C’est notamment le cas à Fermont, où 79 % de la population est employée dans les mines du lac Bloom et du mont Wright, à Port-Cartier, dont 63 % des habitant·es dépendent de l’usine de bouletage d’Arcelor Mittal, ou encore à Bois-Francs, où l’usine de panneau de copeau de Louisiana Pacific emploie 62 % des travailleur·euses.

Un constat qui montre toute l’importance de bien planifier dès maintenant une transition du secteur industriel de la province vers une économie plus sobre en carbone, selon l’IRIS. « La transition écologique se fera tôt ou tard, il faut la planifier le plus rapidement possible pour s’assurer qu’elle ne laissera personne derrière, » précise Colin Pratte.

Selon le chercheur, la meilleure façon d’y arriver est d’impliquer l’ensemble de la population civile dans le virage industriel. « Ça prend une planification démocratique qui inclut les salariés, les communautés, les entreprises et les différents paliers gouvernementaux », explique-t-il.

Cela permettrait à la fois d’assurer la survie des communautés en région, de réorienter les travailleur·euses vers des secteurs conséquents avec nos objectifs climatiques et de réfléchir ensemble aux façons de repenser la production des industries jugées essentielles, espère le chercheur.

« Ça prend une planification démocratique qui inclut les salariés, les communautés, les entreprises et les différents paliers gouvernementaux »

À l’inverse, si la transition est laissée entre les mains de quelques représentants du gouvernement et de l’industrie, elle pourrait contribuer au problème qu’elle souhaite régler, prévient-il.

Il donne en exemple la sortie du charbon dans la production d’électricité albertaine. « L’Alberta n’a pas suffisamment impliqué les travailleurs et les municipalités. Les travailleurs du charbon sont allés travailler dans d’autres filières des énergies fossiles, principalement celle du gaz naturel », rappelle-t-il.

« La carboneutralité en 2050 n’est pas qu’un slogan : ça renvoie à des dynamiques socioéconomiques régionales précises. Si on n’y réfléchit pas dès maintenant, on va devoir choisir entre l’échec de l’atteinte de la carboneutralité, ou bien des crises de chômages et des régions fantômes », prédit-il.

Un petit pas dans la bonne direction

L’importance de l’implication des communautés locales dans la transition de l’économie a justement été soulignée par le ministre de l’Environnement Benoit Charrette. Celui-ci vient d’annoncer 46,5 millions $ sur cinq ans pour soutenir les initiatives environnementales des regroupements citoyens et des municipalités qui les soutiennent, des communautés autochtones, et des organismes.

Une bonne initiative, mais elle demeure insuffisante par rapport à l’ampleur des efforts qui doivent être accomplis, selon Colin Pratte. « C’est bien que le gouvernement reconnaisse l’importance d’impliquer les communautés, mais ça va en prendre beaucoup plus pour que la planification démocratique de la transition puisse réellement démarrer », conclut-il.

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