Le gouvernement Trudeau relance l’énergie nucléaire

Les investissements du gouvernement fédéral dans l’énergie nucléaire ravivent le débat sur sa pertinence dans un réseau électrique décarboné.

Le gouvernement fédéral croit que le nucléaire aura une place à jouer dans la course pour décarboner notre réseau électrique et limiter le réchauffement climatique. Une stratégie qui ne fait pas l’unanimité, alors que plusieurs prétentions de l’industrie sur la sécurité et la rentabilité de la nouvelle génération de réacteurs restent à prouver.

Les annonces du gouvernement fédéral concernant le nucléaire se sont multipliées lors des dernières semaines, alors que le ministère des Ressources naturelles souhaite redynamiser le secteur.

Au cours de la dernière année, le gouvernement a ainsi annoncé l’investissement d’au moins 1,2 milliard $ dans de nouveaux projets devant être mis sur pied en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan, et pour renforcer la sécurité informatique du secteur, selon les calculs de Pivot.

Un autre 1,2 milliard $ a également été investi dans la réfection des laboratoires canadiens de recherches sur le nucléaire de Chalk River en Ontario au cours des dernières années. Ce laboratoire, qui a été dénoncé pour sa gestion des déchets radioactifs, n’est toutefois pas exclusivement associé à l’énergie atomique : il sert aussi à de la recherche dans d’autres domaines, allant de la santé (avec la radiothérapie) à la physique élémentaire.

Ce regain d’intérêt du fédéral contraste avec la trajectoire des dernières années, durant lesquelles les enjeux de sécurité et de stockage des déchets radioactifs avaient mené à un désinvestissement au Canada et dans le monde, soulève Gaëtan Lafrance, professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « Les gens ont pris conscience des risques avec Tchernobyl et Fukushima et des problèmes qui peuvent survenir en raison d’erreurs humaines ou de catastrophes naturelles », rappelle-t-il.

Nouvelles technologies, vieilles promesses

Au cœur de cette tentative de relancer l’énergie nucléaire au pays : les petits réacteurs modulaires (PRM), une technologie non encore testée. Or, de nombreux doutes subsistent à son sujet, explique le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à la Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

« Ils misent sur l’automatisation et la production en série, ce qui soulève des enjeux de sécurité. »

Normand Mousseau

Ces réacteurs d’une taille plus modeste que ceux des centrales nucléaires traditionnelles seraient moins coûteux, plus sécuritaires, plus faciles à déployer et demanderaient moins de personnel spécialisé, selon les prétentions de l’industrie. « Le but, c’est le déploiement à grande échelle, mais je n’y crois pas beaucoup. Le problème, c’est que c’est coûteux et que pour réduire les coûts, ils misent sur l’automatisation et la production en série, ce qui soulève des enjeux de sécurité », remarque-t-il.

Un constat partagé par Greenpeace Canada, qui s’oppose à tout nouvel investissement dans le domaine. « Les PRM, c’est d’abord et avant tout une campagne marketing de l’industrie. Ça fait 20 ans qu’on nous promet des nouvelles technologies qui règleront les problèmes de coûts et de sécurité du nucléaire, mais pour l’instant, ces promesses n’existent que sur des documents PowerPoint », remarque Shawn-Patrick Stensil, porte-parole en matière de nucléaire.

Tout de même mieux que le charbon

Ailleurs dans le monde, le nucléaire occupe généralement la même place que l’hydroélectricité et les centrales au charbon dans l’approvisionnement d’un réseau électrique, explique Gaëtan Lafrance. « Le nucléaire et l’hydroélectricité sont des centrales de base, elles sont là pour assurer de l’énergie en tout temps et généralement elles couvrent environ la moitié de la demande de puissance d’un réseau. » D’après lui, il serait donc superflu dans des endroits comme le Québec qui possèdent un grand potentiel hydroélectrique.

Mais il reste pertinent là où le charbon est encore très utilisé, estime le chercheur. Comparables en capacité aux réacteurs déjà en usage sur les porte-avions et les sous-marins militaires, les PRM pourraient entre autres être utilisés pour sortir le charbon du transport maritime selon lui. « Ils pourraient aussi alimenter des sites isolés qui dépendent présentement des hydrocarbures, sans avoir besoin de construire d’immenses lignes de transport électrique », souligne-t-il. Ces options sont rendues possibles parce que les PRM seraient conçus pour nécessiter un minimum d’intervention et d’entretien, explique Normand Mousseau.

Solution ou distraction ?

Il serait donc hasardeux, selon Gaëtan Lafrance, de renoncer trop rapidement au nucléaire sans une analyse approfondie des conséquences potentielles de son retrait, notamment sur la souveraineté énergétique.

Il donne l’exemple de l’Allemagne, qui a annoncé sa sortie du nucléaire alors que sa production d’électricité dépend encore massivement du charbon et du gaz russe. « Ce n’est pas réaliste qu’ils s’en sortent seulement avec le solaire et l’éolien, qui peuvent faire un grand bout du chemin, mais qui fournissent de l’électricité par intermittence. Pour compenser, ils vont devoir acheter de l’électricité à la France – qui sera produite avec du nucléaire de toute façon », souligne-t-il.

« Avec le nucléaire, ça prend des décennies pour faire un projet, nous n’avons plus le temps. »

Shawn-Patrick Stensil, Greenpeace

Une vision que ne partage pas Greenpeace, qui croit qu’en raison des coûts énormes qui y sont associés, les réacteurs nucléaires forment une distraction nous éloignant d’une transition rapide vers un réseau électrique reposant principalement sur les énergies renouvelables.

« Avec les énergies renouvelables, à chaque année dans plusieurs pays du monde, on construit de nouvelles générations de technologies, on apprend et on améliore les conceptions. Avec le nucléaire, ce n’est pas du tout le même rythme, ça prend des décennies pour faire un projet, nous n’avons plus le temps », dénonce Shawn-Patrick Stensil.

Malgré ses doutes sur les prétentions de l’industrie, Normand Mousseau juge qu’investir dans le secteur nucléaire reste tout de même justifié. « C’est un enjeu de résilience, on ne peut pas mettre tous nos œufs dans le même panier. Pour faire la transition énergétique, il va falloir investir dans plusieurs technologies et certaines ne fonctionneront pas. Qu’on investisse dans le nucléaire en parallèle d’autres solutions, ce n’est pas un problème », conclut-il.

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