Montréal est marquée par des iniquités territoriales dans la répartition de ses espaces verts et de ses pistes cyclables. C’est du moins le constat que fait une récente étude qui s’est penchée sur ces deux éléments ayant un impact direct sur la santé des citoyen·nes.
Avec plus de 184 kilomètres de pistes cyclables, des éco-quartiers et des ruelles vertes en expansion, la région de Montréal est sur la voie du verdissement. Mais l’étude du groupe de recherche universitaire INTERACT démontre que les réel·les bénéficiaires de ces investissements sont généralement logé·es dans des quartiers aux populations plus favorisées et blanches.
Par contraste avec des quartiers que l’on connaît comme plus nantis, comme le centre-ville et le Plateau Mont-Royal, des secteurs plus au sud à Longueuil ou encore à Anjou seraient quant à eux très en retard en matière d’espaces verts et de pistes cyclables.
Depuis 2011, soit les écarts se sont maintenus, soit ils ont légèrement augmenté.
Au bas de l’échelle figure l’arrondissement de Montréal-Nord, qui comporte le moins de pistes cyclables de la métropole. Alors que l’arrondissement abrite une grande proportion de personnes appartenant à des minorités visibles, l’étude dresse aussi un lien entre quartiers racisés et faible présence de verdure et d’espaces verts.
L’embourgeoisement comme facteur d’influence
Amélioration de la qualité de l’air, réduction des îlots de chaleur, meilleure santé mentale et physique… La liste de bénéfices liés au verdissement d’un quartier est longue. Une corrélation existerait également entre verdissement et réduction de la criminalité, selon une précédente étude. La proximité de pistes cyclables aurait également des bienfaits notables sur la santé générale des citoyen·nes.
Mais ces bénéfices ne sont pas répartis également au sein de la ville, et ce malgré une nette augmentation des pistes cyclables et des espaces verts dans la dernière décennie. « Les secteurs gentrifiés ont été davantage verdis, et ont donc rattrapé en partie leur retard », note Yan Kesten, chercheur principal de l’étude. « Par contre, les secteurs déjà moins verts en 2011 n’ont pas autant profité du verdissement que les quartiers plus favorisés. Conséquence : soit les écarts se sont maintenus, soit ils ont légèrement augmenté. »
Pour orienter les investissements publics, il faut déjà avoir un certain pouvoir d’influence – ce qui n’est pas donné également à tou·tes
Si l’embourgeoisement a un lien avec l’environnement bâti, le sens de la corrélation reste toutefois à prouver. « C’est un peu l’histoire de l’œuf ou la poule, à savoir si l’embourgeoisement engendre des investissements dans l’environnement bâti ou si les changements dans l’environnement bâti d’un quartier pourraient encourager de nouvelles communautés à s’y installer et à l’enrichir », explique Yan Kesten, dont l’équipe de recherche étudie encore cette question.
Des inégalités territoriales aux causes historiques
La mairesse de l’arrondissement de Montréal-Nord, Christine Black, se dit peu surprise des résultats de l’étude. « Les causes de cette iniquité sont complexes, car elles s’inscrivent dans l’histoire des arrondissements et touchent toutes les sphères : politique, économique, sociale. » Historiquement, les populations immigrantes ont posé leurs bagages dans les quartiers industriels et plus enclavés de la ville, ce qui aurait occasionné des inégalités de santé, observables encore aujourd’hui.
Un constat que confirme Yan Kesten. Mais les inégalités ne se reproduisent pas toutes seules et sont reconduites par des choix politiques. « Quand on parle de pistes cyclables, c’est certain que les investissements d’infrastructures plus rentables sont dans les quartiers plus centraux, où il y a beaucoup d’emplois. Ça permet à un plus grand nombre de circuler. Et cet impératif contribue à exclure d’autres territoires. »
L’aspect politique des investissements serait en cause, selon Mikael St -Pierre, urbaniste au Centre d’écologie urbaine de Montréal et partenaire de l’étude. « J’explique souvent à mes étudiant·es que l’urbanisme est la seule pratique dans laquelle les praticien·nes ne prennent aucune décision. Ce sont les élu·es qui les prennent », témoigne celui qui enseigne à l’UQAM.
L’urbaniste défend d’ailleurs que, pour orienter les investissements publics, il faut déjà avoir un certain pouvoir d’influence – ce qui n’est pas donné également à tou·tes. « Dans bien des milieux défavorisés, où on remarque moins d’investissement en environnement bâti, il y a bien souvent des enjeux de sécurité alimentaire, d’accès au logement abordable, de francisation, et ainsi de suite. Les individus n’ont pas toujours les moyens, les ressources ou les connaissances requises pour se mobiliser et faire pression auprès des élu·es. »
« Il faut mieux analyser les retombées, on pourra ainsi prendre de meilleures décisions. »
Si les arrondissements ont de plus en plus d’importance pour répondre aux enjeux de société, elles n’en ont pas forcément les moyens, croit le chercheur Yan Kesten. Une grande part des investissements relève de la ville-centre et de l’agglomération. « Notre capacité financière est franchement insuffisante et nous ne détenons pas toutes les compétences », explique Christine Black. « C’est la Ville de Montréal qui a le pouvoir de décider du développement du réseau cyclable ».
L’importance de mieux analyser les investissements
Si les investissements des dernières années démontrent que la Ville a à cœur le verdissement, pour Mikael St-Pierre, il est impératif que la question d’équité territoriale soit au cœur des discussions liées aux investissements. « Actuellement, le budget participatif de la Ville de Montréal compte un critère d’équité territoriale. Tranquillement, c’est en train de se faire », croit l’urbaniste.
Le chercheur Yan Kesten espère de son côté que l’étude permettra d’encourager une meilleure compréhension des retombées liées aux développements urbanistiques. Il constate que bien souvent, il y a des investissements, mais pas de monitorage ni de suivi. « Nous avons des données et la capacité de récolter davantage d’information : il faut mettre en place des systèmes pour mieux analyser les retombées, on pourra ainsi prendre de meilleures décisions d’investissements, qui contribuent à une réelle équité territoriale. »