
Allemagne : une mine de charbon continue d’engloutir des villages malgré la transition énergétique
La mine pourra s’étendre jusqu’en 2030 avant de devoir mettre fin à ses activités.
Situé à quelques mètres de la mine de charbon Garzweiler, le village de Lützerath, près de Düsseldorf en Allemagne, semble avoir finalement perdu le combat. Le géant de l’énergie RWE a reçu début octobre le feu vert du gouvernement pour continuer à dévorer le territoire et, sur son passage, le village. Et les résident·es du secteur ont peur que l’invasion russe en Ukraine ne permette à la compagnie de continuer à creuser au-delà de 2030, année où le gouvernement allemand a annoncé vouloir arrêter l’utilisation du charbon.
Aux abords du précipice donnant sur les 18 kilomètres carrés de mine à ciel ouvert, on peut entendre un chant funèbre. « Lützerath est mourant et disparaîtra englouti par la mine », se lamente un homme, guitare à la main, devant des militant·es écologistes rassemblé·es par solidarité.
Paradoxalement, en annonçant vouloir arrêter sa production d’électricité au charbon d’ici 2030 pour satisfaire au plan de transition énergétique élaboré par le gouvernement, la compagnie a aussi confirmé qu’elle s’étendrait jusqu’à emporter le village. Le sort de Lützerath est joué, le canari dans la mine n’est plus.
« On est tous et toutes enragé·es. On ne peut pas croire que, de nos jours, une mine de charbon soit plus forte que les politiciens, la science entourant les changements climatiques et tout le reste », s’insurge Silke, une militante écologiste. « Il n’y a tout simplement plus de Parti vert en Allemagne maintenant. »
Le cas de Lützerath reste tout de même un peu particulier. Il suffit de parler avec d’autres résident·es de la région pour se rendre compte que le village en est vraiment devenu un en raison de l’arrivée de militant·es écologistes au cours des dernières années.
« On ne peut pas croire que, de nos jours, une mine de charbon soit plus forte que les politiciens, la science entourant les changements climatiques et tout le reste. »
Il ne faut par contre pas se méprendre. Les dizaines, voire les centaines de personnes qui y vivent maintenant ont été invitées à le faire par le fermier de l’époque qui possédait les terres acquises par la mine. Ce qui n’était donc qu’une poignée de maisons, à peine assez pour être qualifié de village, est ainsi devenu une immense commune à ciel ouvert.
« Je viens à Lützerath depuis le début des manifestations et je ne partirai pas. Il faudra que la police me sorte de force », lance Taco, un jeune homme de 17 ans en regardant son village au loin, de l’autre côté de la mine.
Celles et ceux qui ont grandi ou qui ont élevé leur famille dans la région ne sont pas dupes. Si Lützerath peut tomber en 2022, jusqu’où ira la minière RWE, qui exploite la mine Garzweiler et qui a déjà détruit près de 40 villages dans les dernières décennies?
Entre « belles paroles » et espoir
Avec cette récente annonce de RWE, les citoyen·nes se rendent compte que le plan de transition énergétique du gouvernement va en fait permettre aux minières de creuser jusqu’à la dernière heure de 2029.
Mais ce qui inquiète surtout, c’est qu’avec la guerre en Ukraine, l’Allemagne a davantage besoin d’utiliser le charbon de la mine pour compenser ses anciennes importations de gaz russe. La roche combustible noire représente cette année environ un tiers de la consommation énergétique allemande, une augmentation d’un peu plus de 10 % par rapport à 2021.
« Mon expérience me dit qu’ils parlent, mais ne font rien. »
Olivier Kanenberg, qui habite Kuckum, à quelques kilomètres de Lützerath et aux abords de la mine Garzweiler, pensait que son village serait finalement épargné en raison de l’arrêt annoncé de la mine pour 2030. Il tentait donc de racheter à RWE la maison dans laquelle il a fondé sa famille et passé près de 20 ans de sa vie. Mais, il craint maintenant que la crise énergétique ne fasse dérailler le plan de transition énergétique du gouvernement et donc, son plan de rachat.
« C’est une nouvelle situation pour tous les joueurs. Ils ne savent pas quoi faire. Et mon expérience me dit qu’ils parlent, mais ne font rien. On ne connaît pas le plan du gouvernement et de RWE. C’est un gros trou noir », lance M. Kanenberg devant son ancienne maison.
Bien qu’il ait entendu tellement de belles paroles du gouvernement et de la compagnie qu’il n’y croit plus, Oliver Kanenberg garde tout de même espoir. Selon lui, la crise énergétique actuelle est la preuve qu’il faut accélérer la transition, pas l’inverse.
De son côté, Martin Kleim, chef de programme européen de transition énergétique à la Fondation Heinrich-Böll, un think tank écologiste, pense qu’il est possible de respecter la date de 2030.
D’ailleurs, lui aussi croit que la crise énergétique démontre qu’on doit trouver des solutions ailleurs. Par contre, il estime qu’il faudra une réponse européenne à la situation.
« L’Allemagne ne pourra pas régler la situation seule et c’est véritablement un défi pour l’Europe parce que les systèmes européens d’énergie sont très interconnectés. Et donc, évidemment, ça prendra de la solidarité », explique-t-il.
La crise énergétique actuelle est la preuve qu’il faut accélérer la transition, pas l’inverse.
C’est particulièrement vrai dans le cas de l’Allemagne, puisque l’objectif de mettre fin à l’électricité au charbon en 2030 était rendu possible car le pays avait accès à du gaz russe à bas prix. Mais, tout ça s’est terminé maintenant et on ne sait pas encore comment le tout sera compensé sur le long terme.
Le chancelier allemand Olaf Scholz était d’ailleurs au Canada à la fin de l’été pour parler de gaz naturel liquéfié. Cependant, les spécialistes ne considèrent pas qu’il s’agit d’une énergie verte permettant une vraie transition énergétique.
En attendant, la mine Garzweiler poursuit ses opérations à plein régime et produit entre 30 et 35 tonnes de charbon annuellement.