Le salaire de l’oppression

CHRONIQUE | Le service à la clientèle comporte des violences particulières pour les personnes issues de minorités. Il est grand temps que les employeurs le reconnaissent pleinement et assument le coût de cette externalité.

Le service à la clientèle reste un des secteurs d’emploi les plus précaires, mais il porte encore d’autres violences pour les personnes issues de minorités. Il est grand temps que les employeurs le reconnaissent pleinement et assument le coût de cette externalité.

La semaine dernière, Statistique Canada a publié une courte étude sur les caractéristiques d’emploi des personnes lesbiennes, bisexuelles et gaies (LGB). Sans grande surprise, on y apprend que les personnes issues de ces communautés sont généralement désavantagées par rapport aux hommes hétérosexuels, tant sur le plan du taux d’emploi, de la précarité que du salaire.

Une information en apparence anodine a suscité mon attention : environ le quart des personnes LGB sont susceptibles de travailler dans le service à la clientèle ou la vente, une proportion comparable aux femmes hétérosexuelles.

S’il est juste – comme le souligne l’analyse de StatCan – de mentionner qu’il s’agit plus souvent d’emplois moins bien rémunérés, il faut aussi rappeler que ce sont des contextes insécurisants pour les personnes issues des minorités sexuelles et de genre.

Les personnes queers en emploi en service à la clientèle sont exposées à plus d’hostilité.

Je travaille dans une bibliothèque de la Ville de Montréal. À ce titre, je dois constamment être en contact avec un public d’âges, de cultures, de situations économiques très diversifiés. Mes conditions de travail sont exceptionnelles pour un travail de service à la clientèle : emploi syndiqué, assurances collectives, congés mobiles et tout le tralala. Je suis foncièrement privilégiée. Mon employeur offre même des formations sur la diversité et l’inclusion.

Lorsqu’il est question de gestion de la diversité en emploi, rien n’est épargné : on parle de diversité sexuelle et de genre, de diversité raciale, culturelle, religieuse, on parle même de neurodiversité, ce qui est assez rare dans le monde du travail. Des formations qui, honnêtement, ont une certaine utilité à réduire les effets des oppressions entre collègues.

Mais les dynamiques sont assez différentes en service à la clientèle.

Le besoin de guérir

Déjà, j’exerce un pouvoir en contrôlant l’accès aux ressources publiques. Parfois, cette situation de domination peut appeler à une réponse violente ou dégradante de la part d’une personne qui se retrouve privée d’accès – une vaine tentative de rétablir un équilibre. Ça va des microagressions aux attaques homophobes ouvertes.

De façon générale, toutes les personnes queers en emploi en service à la clientèle sont exposées à plus d’hostilité. Hell, tout le monde en service à la clientèle est en milieu hostile.

Les conséquences psychologiques de ce genre d’emploi devraient être mieux reconnues – et compensées financièrement. Les employeurs exigent de nous que nous appliquions des procédures qui nous exposent en retour à des violences indues; ils nous demandent de prendre la responsabilité à leur place. La moindre des choses serait de nous dédommager.

J’en parlais avec un collègue après un incident du genre. Une personne l’avait insulté au comptoir, une insulte homophobe. La réponse de la direction avait été tiède et il était blessé que le trauma répété de l’homophobie ne soit pas reconnu. On a parlé d’enjeux de sécurité, de militance, de la descente policière au Sex Garage – il y était! – et on dirait que j’ai réalisé l’ampleur de la violence accumulée par les personnes opprimées et tout le soin que ça prend pour vivre avec.

La moindre des choses serait de nous dédommager.

On a beau gagner des luttes, éduquer, rendre nos vies plus douces, les violences passées demandent un soin continu.

Le prix de la guérison

Au bout du compte, il y a toujours quelqu’un entre moi et ma paie. Je ne peux pas me contenter de faire mon travail et d’ignorer mes collègues, je dois affronter le public avec le sourire.

Il y a eu pas mal de fois où j’ai eu de la difficulté à tolérer ça, et ça compromettait ma sécurité d’emploi. J’étais contente de pouvoir écouter ma musique dans les rayons pendant la pandémie, quand la bibliothèque était fermée. Mais quand les usager·es sont revenu·es, j’ai eu de la difficulté, surtout que mon patron m’avait fait comprendre qu’il ne me défendrait pas si je m’énervais en réponse à une agression.

J’ai quitté pendant un an, il y a eu le projet de loi 2, le burnout. Aujourd’hui je suis sur les antidépresseurs et c’est plus facile. Mais pendant un an, ça m’a coûté 7 $ de l’heure, mes assurances et tout le tralala.

Du temps et de l’argent

Le choix des outils de guérison est propre à chacun·e, mais tous demandent des ressources – et les meilleures ressources à la disposition de l’employeur sont le temps et l’argent. Qu’on donne un break (littéralement) aux victimes de propos racistes, misogynes, transphobes, etc., et qu’on reconnaisse que les personnes ont besoin de se soigner. Un congé et une prime à l’agression, en quelque sorte.

Qu’on donne un break (littéralement) aux victimes de propos racistes, misogynes, transphobes, etc.

Ça peut paraître cynique, j’imagine, de troquer nos oppressions contre de l’argent, mais pour moi ce serait un acte de juste reconnaissance des violences endurées dans la prestation de travail en service à la clientèle.

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