Pénurie de main-d’œuvre : les travailleuses du public ont-elles vraiment « le gros bout du bâton »?

Si la pénurie de main-d’œuvre donne une meilleure posture aux employé·es du secteur privé pour négocier de meilleurs salaires et conditions de travail, les travailleur·euses du secteur public « se rendent malades au travail ».

La pénurie de main-d’œuvre aurait, comme l’affirme François Legault, « donné le gros bout du bâton aux travailleurs » dans plusieurs secteurs de l’économie. Mais la situation est bien différente pour les employé·es de l’État : « nos membres sont à bout de souffle », avertit Lydia Martel, présidente par intérim du Syndicat de professionnel·les du gouvernement du Québec (SPGQ).

Bien qu’elle considère comme étonnante la posture du premier ministre, qui a souvent « fait des sorties où il prenait [plutôt] la défense des intérêts patronaux », Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), est d’accord avec le chef caquiste. En effet, elle explique que « les travailleurs sont en meilleure position pour demander de meilleures conditions ou un meilleur salaire parce que les employeurs ont plus de difficultés à recruter de la main-d’œuvre ».

Le récent changement dans le rapport de pouvoir entre patrons et employé·es semble clairement bénéfique pour ces derniers. D’après Mme Posca, « les employés ont été capables d’aller chercher des hausses salariales plus importantes que dans les 20 dernières années ».

Elle estime que les gains des salarié·es en mesure de mieux négocier leurs paies augmentent leur pouvoir d’achat. Elle reconnaît que le prix risque de monter si les salaires augmentent, mais la chercheuse rappelle que : « les salaires, c’est seulement une portion des dépenses des entreprises. […] Quand on augmente les salaires, ce ne sont pas 100 % des coûts qui augmentent, et donc ce n’est pas vrai que la hausse des prix est transférée intégralement dans le prix des biens et services. »

« Les employés ont été capables d’aller chercher des hausses salariales plus importantes que dans les 20 dernières années. »

Un État « porté à bout de bras »

Dans le secteur public, Mme Posca souligne les gains syndicaux de quelques corps de métiers : « les éducatrices, les employés des services de garde et le personnel de l’enseignement ont pu négocier des ententes plus avantageuses ». Mais la sociologue considère davantage ces améliorations comme étant un rattrapage après « des années d’austérité et de recul dans le service public ».

Le portrait que brosse Lydia Martel, présidente par intérim du SPGQ, est plus pessimiste pour les employé·es de l’État. « Nos membres sont à bout de souffle. »

« On a porté ça à bout de bras […] ça ne pourra pas durer éternellement. »

Pour Mme Martel, parce que les employé·es de l’État ne sont pas assez nombreux·ses et ont à cœur leur métier, cela les amène à « se rendre malades au travail ». Les conditions de travail dans le secteur public, que la présidente jugeait déjà difficiles, jumelées aux difficultés reliées à la pandémie poussent les travailleur·euses « aux congés de maladie, voire à la démission et la fuite vers le secteur privé ». Cela, dans un contexte où le manque de personnel est déjà un facteur important des conditions de travail pénibles.

Julia Posca prévient que ces conditions de travail peu propice à la rétention de personnel « se traduisent par un accès plus difficile aux services ou à des services de moins bonne qualité » pour la population. Lydia Martel se dit fière des services rendus aux citoyen·nes par les employé·es de la fonction publique, mais met en garde : « on a porté ça à bout de bras […] ça ne pourra pas durer éternellement ».

Un démantèlement tranquille

La chercheuse à l’IRIS et la présidente du SPGQ sont d’accord : dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, il est crucial de fournir de bonnes conditions de travail aux employé·es de l’État. Julia Posca explique que « ça attirerait plus de travailleur·euses, et donc il y aurait une amélioration des services aux citoyens ». Mme Martel craint que si, à l’inverse, l’État ne peut pas rivaliser avec les salaires et les conditions de travail qu’offre le privé, « ça mènerait non seulement à l’affaiblissement de l’État, mais de toute nos valeurs de mieux-être collectives ».

« On demande que les conditions de nos membres soient améliorées, qu’ils soient traités avec respect et ce n’est pas du tout l’attitude qu’on voit aux tables de négociations » avec le gouvernement, proteste-t-elle. Mme Martiel rapporte que le gouvernement semble se montrer compréhensif, « mais quand ils nous arrivent avec de nouvelles propositions, on frappe un mur ». La représentante syndicale dit se sentir insultée par « des offres salariales qui sont qui sont en dessous du coût de la vie ».

« Ça mènerait non seulement à l’affaiblissement de l’État, mais de toute nos valeurs de mieux-être collectives.  »

Même si la rareté de la main-d’œuvre ajoute un stress sur le système, pour Mme Martel, le cœur du problème, c’est « une question de vision politique, c’est un choix ». À son avis, les gouvernements des dernières années ont une mentalité qui mène à un démantèlement de l’État. « Ce n’est pas parce que l’État n’a pas l’argent, c’est parce qu’il le met là où ça ne renforce pas ses institutions. »

LE CAS MCKINSEY

Pour la présidente du SPGQ, ce démantèlement des services publics est exemplifié dans un contrat de près de 5 millions $ que le gouvernement du Québec a passé avec la firme privée McKinsey pour planifier la relance de l’économie dans un contexte post-pandémique. Une affaire qu’elle perçoit comme un cas de sous-traitance coûteux et superflu.

Le rapport de 280 pages produit par McKinsey, qui n’est pas accessible au public et que Mme Martel considère comme « fouillé, mais pas renversant », représente un travail de six mois par 20 consultant·es qui travaillent à temps plein pour 250 $ l’heure. « Ce n’est pas un travail renversant, nos professionnels à l’interne auraient pu le faire et leurs salaires plafonnent aux alentours de 40 $ l’heure. »

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