L’union de la gauche?

LETTRE D’OPINION | La forte victoire de la CAQ montre qu’une alternance du pouvoir avec la gauche est de plus en plus difficile à envisager, à cause de la division du vote entre les deux partis de cette tendance.

La forte victoire de la CAQ, en dépit d’un pourcentage de votes pas si élevé, montre une fois de plus les carences de notre système électoral. Mais elle révèle aussi un autre mal : une alternance du pouvoir avec la gauche rendue de plus en plus difficile à envisager, à cause de la division du vote entre les deux partis de cette tendance.

Québec solidaire et le Parti québécois n’ont pas fait les gains qui leur auraient permis de se positionner comme une solide opposition et encore moins de gagner les élections. La CAQ se renforce par le morcèlement de ses adversaires, qui devront se contenter de quelques sièges pour se faire entendre.

QS et le PQ ont échoué dans leur tentative de rapprochement avant les élections de 2018. Jean-François Lisée, chef du PQ à ce moment, en est resté tellement amer qu’il ne voyait plus que QS dans son viseur, transformant cet échec en une sorte d’obsession, devenue pathétique au débat des chefs avant le scrutin. Un mur s’est dressé entre les deux partis, à l’avantage de QS, mais personne n’en a été revigoré.

Pourtant, pendant les débats télévisés de la dernière campagne, plusieurs ont remarqué d’importants terrains d’entente entre Gabriel Nadeau-Dubois et Paul Saint-Pierre-Plamondon, sur l’environnement, les services publics, la fiscalité, l’indépendance du Québec, la culture.

À lire les programmes de l’un et l’autre parti, on s’étonne de constater à quel point il y a peu de contradictions sur les questions économiques et environnementales. Par contre, sur la question du racisme et de l’immigration, les deux partis ont des positions diamétralement opposées, ce qui serait un obstacle majeur et très difficile à contourner dans l’objectif d’une éventuelle unification.

Un mur s’est dressé entre les deux partis, à l’avantage de QS, mais personne n’en a été revigoré.

Dans l’ensemble, le projet de QS l’emporte clairement sur le plan de la précision, avec un programme d’une centaine de pages, détaillant les promesses du parti. Plus court de la moitié, le programme du PQ est tout de même riche de propositions multiples bien ancrées à gauche. En combinant les deux documents, pourtant, il est clair que plusieurs bonnes idées pourraient s’équivaloir, et souvent même s’additionner.

Un avenir incertain

Pour ce qui est de la fermeté des principes et des intentions, la division entre les deux partis et les nuances d’opinion qu’ils expriment, mineures ou majeures, sont très appréciables, comme une juste expression de la démocratie et de la multiplicité des points de vue dans l’électorat. Mais selon l’objectif d’une prise de pouvoir par un gouvernement de gauche, cette situation peut sembler stérile.

Quatre scénarios sont envisageables pour l’avenir :

1. Le statu quo se maintient : QS et le PQ continuent à exister comme rivaux politiques, en divisant le vote et en étant ainsi quasiment assurés de rester dans l’opposition à long terme.

2. L’un des deux partis l’emporte sur l’autre : la bataille se termine la disparition du plus faible. Le résultat de l’élection ne laisse cependant rien présager allant en ce sens.

3. La mise en place d’un système électoral proportionnel permet la coexistence pacifique des deux partis, voire la création d’alliances. QS et le PQ garderaient alors leur identité. Certain·es électeur·trices ne seraient plus confronté·es à des choix parfois difficiles et voteraient plus aisément selon leurs convictions. Cependant, le désintérêt répété des partis au pouvoir à instaurer ce système rend peu probable cette hypothèse pour le moment.

4. QS et le PQ s’unissent, forment un seul parti, ou créent une alliance permanente qui met fin à leur concurrence.

S’unir, mais dans quelles conditions?

Cette dernière hypothèse semble la plus dure à avaler pour plusieurs militant·es de ces partis. Le temps a fait son œuvre et au-delà des idées, des conflits, des désaccords, voire des haines, se sont développés et ont transformé QS et le PQ en deux planètes dont les habitant·es ne se parlent plus.

Ce qui n’aide pas à régler les questions litigieuses : quelle place accorder à l’indépendance et comment y accéder? Comment renforcer les services publics? De combien faut-il réduire les émissions de GES? Quels moyens faut-il prendre pour mieux partager la richesse? Et surtout, comment s’entendre sur les questions fondamentales de l’immigration de la lutte contre le racisme?

Ce qui frappe, c’est que les objectifs des deux partis, dans la plus grande partie de leurs programmes, sont en général assez semblables, mais les moyens pour les atteindre restent différents, principalement en ce qui concerne les dosages : un peu plus ou un peu moins de radicalité, telle est la question.

Unir la gauche consisterait ainsi à mettre de l’eau dans le vin, d’une coupe à l’autre, à s’entendre sur des chiffres et des objectifs, à admettre que prendre le pouvoir, c’est aussi se salir les mains, comme le disait Jean-Paul Sartre. Ce qui nécessiterait bien sûr de longs débats et pourrait décevoir de nombreux·ses membres de l’un et l’autre parti, créer quelques drames. Mais il s’agit pourtant d’un exercice qui pourrait être réalisable, avec de la bonne volonté de part et d’autre, sans en minimiser les difficultés.

Un peu plus ou un peu moins de radicalité, telle est la question.

D’autres partis l’ont fait. On pense bien sûr à l’union des Conservateurs et du Reform Party au Canada, qui a bien montré toute la difficulté de la démarche, les blessures qui restent, mais aussi les gains qui en découlent.

La gauche au Québec, quant à elle, est toujours confrontée au même grand dilemme. Qui l’emportera : la nécessité de conserver l’identité de QS et du PQ ou la volonté ferme de prendre le pouvoir?

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