Des rails ou du tarmac? Quand un train vole la vedette à un aéroport à Sherbrooke
Ça bouge à Sherbrooke… mais est-ce que cela avance dans le bon sens?
La mobilité est l’enjeu de l’heure à Sherbrooke, et c’est passionnant à suivre. Promis, je n’écris pas cela parce que je suis sherbrookoise, mais bien parce que la ville concentre des annonces et des débats majeurs en mobilité collective.
Jugez plutôt : la récente promesse électorale de Québec solidaire d’aménager neuf lignes d’autobus à haute fréquence et de faire revivre deux lignes de tramways; celle encore plus récente du Parti québécois d’un train à grande vitesse de Sherbrooke à Brossard; l’aménagement de nouvelles pistes cyclables et de nouvelles stations Communauto; la première édition de Cyclovia qui a fermé quelques heures l’achalandée rue King Ouest pour le bonheur des cyclistes ou encore l’implantation de vélos électriques en libre-service pour l’été 2023, annoncée cette semaine.
Mais ce sont deux autres enjeux qui ont retenu mon attention : le projet de développement de l’aéroport de Sherbrooke notamment pour le rendre accessible aux voyageurs internationaux et le projet d’un train de passagers entre Montréal et Sherbrooke (et, peut-être, Boston).
Un aéroport international et un train de passagers? Un train ou un aéroport? Ou l’inverse? Ces projets pourraient-ils être complémentaires ou sont-ils nécessairement concurrents?
En tout cas, ces deux projets ont certes plusieurs points communs. Ils dépassent certainement un cadre électoral de quatre ans, il devrait s’agir de projets collectifs non partisans et ils nécessitent d’importants investissements publics – en dollars, mais aussi en temps et en expertise.
C’est là, où s’arrête la comparaison : tant mieux, ce sont leurs différences qui m’interpellent.
L’aéroport du glamour
Les nuances comptent beaucoup pour moi, donc je me fais toujours un devoir de partir à leurs recherches. Mais force est de constater que l’aviation est dépourvue de toute qualité environnementale : voler, ça pollue, et voilà.
D’ailleurs, on lit souvent que l’aviation serait responsable de « seulement » 2 % des émissions de CO2 mondiales… C’est vrai, mais ce chiffre ne dit pas tout : il n’y a pas que du CO2 qui sort du pot d’échappement d’un avion. Lorsqu’on prend en compte tous ses effets réchauffant d’un avion (ce qu’on appelle le forçage radiatif), son impact climatique serait deux fois à trois fois plus élevé… et encore en croissance!
Je ne vais pas m’attarder sur les carburants verts et les avions électriques, tant il s’agit encore de spéculations avec un soupçon de pensée magique. Par exemple, Airbus pense faire voler des avions à hydrogène vers 2035, voire après 2050 pour les longs courriers. D’ici là, au regard des crises énergétiques présentes et à venir, on verra si on peut utiliser de l’hydrogène pour du tourisme de plaisance ou s’il vaut mieux le garder pour l’agriculture et les hôpitaux. Pour les avions électriques internationaux pour le grand public… on s’en reparlera, si un jour cela existe.
Force est de constater que l’aviation est dépourvue de toute qualité environnementale : voler, ça pollue, et voilà.
J’en reviens à mes nuances, puisque l’aviation a tout de même des qualités, selon qui en parle.
Pour les gens d’affaires de Sherbrooke, un aéroport international est un facteur important de développement économique, même si la ville a signé une déclaration d’urgence climatique en 2018. Le milieu académique, comme l’Université de Sherbrooke, y voit l’opportunité de faciliter la venue de chercheur·euses et d’étudiant·es de l’international pour le bouillonnement intellectuel de Sherbrooke, même si l’urgence climatique est une de ses priorités.
Pour les environnementalistes, le développement de l’aéroport a le mérite de ne pas être nécessaire puisqu’il existe déjà un aéroport international à Montréal, soit seulement 2 h 30 en voiture de Sherbrooke… même si cela peut être glamour pour une ville d’avoir son propre aéroport.
Je rappelle qu’au même moment, la France interdit des vols intérieurs pour lesquels il existe une alternative en train de moins de 2 h 30, la pression monte envers les chercheur·euses qui recourent trop facilement à l’aviation, la honte de voler suédoise a fermé des aéroports, des citoyen·nes belges dénoncent la nuisance sonore du trafic aérien et la grogne monte contre jets privés un peu partout dans le monde.
Du glamour… Serait-il de cela dont il s’agit? Après tout, il y a bien des alternatives environnementalement plus sexy au développement d’un aéroport en pleine urgence climatique : des plateformes de covoiturage, des conférences et des congrès en visioconférence, l’aéronavette, le projet à l’étude d’une ligne de bus Limocar de Sherbrooke jusqu’à l’aéroport de Montréal… et, évidemment, le train.
Le train de la transition
Contrairement à un aéroport international qui faciliterait la vie de quelques individus, un train a le mérite d’être accessible et utile au plus grand nombre, ce qui répond aux enjeux de justice climatique et sociale. D’autant plus s’il est électrique, le train est une solution de mobilité durable pour transporter de nombreuses personnes confortablement et rapidement.
Mais c’est aussi un ambitieux projet de société : le Québec pourrait-il développer son expertise ferroviaire et être fier de son réseau de qualité alimenté par des barrages hydroélectriques? Sans doute que l’entreprise Altrom, qui a récemment créé un centre d’innovation spécialisé dans la mobilité ferroviaire verte à Saint-Bruno-de-Montarville, serait bien intéressée.
D’ailleurs, un récent sondage montre que les principales personnes concernées, les Sherbrookois·es, préfèrent largement le projet de train par rapport à celui de l’aéroport.
Un choix à faire
Je ne nie pas la plus-value d’un aéroport international pour les gens d’affaires et les milieux académiques sherbrookois. Je suis certaine que cela faciliterait effectivement leurs opérations, mais je pense que cela ne devrait pas toujours être à la population générale de fournir des efforts d’adaptation par rapport aux enjeux environnementaux.
Comment décemment demander aux ménages québécois de moins utiliser leur voiture familiale pour diminuer les gaz à effet de serre, alors que quelques personnes trouvent qu’il vaut mieux avoir son propre aéroport plutôt que faire trois heures de route?
Les institutions, les entreprises et les pouvoirs publics ont un devoir d’exemplarité.
Les gens d’affaires et l’Université de Sherbrooke m’ont indiqué que, selon eux, ces deux projets n’étaient pas en concurrence, mais complémentaires. Je ne partage pas leur avis, il me semble que le train est nécessaire alors que l’aéroport est accessoire.
Or, il importe d’utiliser convenablement les fonds publics. L’argent investi dans l’aéroport ne pourra l’être ailleurs, par exemple pour aider la communauté à s’adapter en urgence aux impacts du dérèglement climatique.