Luttes syndicales : il n’y a rien d’acquis, même au Québec

On a tendance au Québec à prendre le syndicalisme pour acquis – c’est une erreur majeure, surtout avec la montée de la droite dure partout dans le monde.

Il y a deux semaines, mon cher rédacteur en chef m’a indirectement lancé un défi en demandant à notre communauté de chroniqueur·euses de privilégier les angles électoraux dans nos prises de position et dans nos analyses.

Large chantier dans mon cas, moi qui couvre surtout l’actualité internationale : comment aborder les questions politiques touchant la place du Québec dans la grande communauté mondiale, alors que nous ne sommes toujours que les colonisateurs conquis d’un « demi-pays », expression chère au chroniqueur du Devoir Jean-François Nadeau?

Mais comme le dit le proverbe, à l’impossible nul n’est tenu, et une fois celui-ci éliminé, l’éventail des possibles demeure fort large.

Un enjeu universel

S’il subsiste un enjeu universel quelque part en ce monde outre l’urgence climatique, les luttes syndicales occupent certainement la position de tête, ou très près.

La raison est fort simple : nous oublions trop souvent, depuis notre confort indifférent, qu’elles sont à l’intersection de nombreux autres combats, notamment dans les pays du Sud global.

J’ai écrit ici à propos des syndicats ukrainiens et biélorusses qui refusaient d’acheminer des armes soit vers le front russe de l’actuelle guerre en Ukraine, soit vers des pays limitrophes où l’OTAN procède à des démonstrations de force rebaptisées « exercices » par les artisans de la novlangue militariste.

Ces syndiqué·es avaient emboité le pas à la CGT française dont le syndicat des débardeurs de Marseille avait refusé de charger des armes françaises à destination du Yémen, vouées à commettre de crimes de guerre par ce Daech de grand luxe qu’est l’Arabie Saoudite, qui s’en étaient portée acquéreuse.

S’il subsiste un enjeu universel quelque part en ce monde outre l’urgence climatique, les luttes syndicales occupent certainement la position de tête, ou très près.

Je vous ai aussi parlé de ce lock-out sauvage chez Rolls-Royce Canada, qui vient de prendre fin. Si je le mentionne ici, c’est moins par comparaison directe avec les luttes d’ailleurs que pour en aborder la dimension unique dans le contexte québécois.

Ce fut d’abord le plus long conflit ici depuis fort longtemps, avec un séjour sur le trottoir d’un peu plus de cinq mois. Mais ce conflit a aussi marqué le retour des bonnes vieilles tactiques antisyndicales vicieuses par le géant aéronautique et automobile, agissant comme si sa présence en sol québécois représentait un nouveau chapitre du colonialisme britannique, qu’on parle du congédiement du président du syndicat, de filatures par des entreprises de sécurité privée ou de recours détourné à des briseurs de grève, sur fond de tentative de détournement du régime de pension des travailleuses et des travailleurs.

Mais ce fut surtout, du côté des lock-outé·es, le retour d’un discours et de tactiques rappelant un peu le syndicalisme de combat des beaux jours de l’émancipation ouvrière de la première partie du 20e siècle.

Quand on se compare…

Mais les difficultés rencontrées par les syndiqué·es ici pâlissent devant l’oppression que subissent leurs camarades ailleurs sur la planète. Et il n’est nullement nécessaire de voyager loin dans le passé pour trouver des exemples de luttes ouvrières écrasées dans le sang et la brutalité de corps policiers qui, comme ici, agissent finalement comme agents officieux des patrons, en sous-location par des États dans la petite poche des multinationales et de leurs dirigeants.

Pensons d’abord au massacre de Marikana en Afrique du Sud, dont on devrait souligner ces jours-ci le dixième anniversaire si nos grands médias ne s’étaient pas désolidarisés des combats ouvriers. En août 2012, près de 40 grévistes membres du Syndicat national des travailleurs miniers furent tués par une alliance pourrie entre la police d’État sud-africaine, la compagnie Lonmin et ses mercenaires, de même que des leaders syndicaux corrompus.

Indignons-nous aussi devant l’arrestation et l’incarcération le mois dernier de Joseph Staline (si, si!), président du Syndicat enseignant du Ceylon au Sri Lanka (notons l’appartenance du syndicat au Parti communiste local, pratique toujours en cours de par le monde), dans la foulée des grèves générales qui ont secoué le pays depuis mars dernier. Le cheval de bataille de Staline? La lutte contre la militarisation de l’éducation nationale.

Un peu partout dans le monde occidental, la montée des partis politiques d’extrême droite entraine avec elle un anti-syndicalisme primaire qui menace à terme de déséquilibrer les rapports de force entre les travailleur·euses et leurs patrons.

Et l’an dernier, le président philippin Rodrigo Duterte (un grand ami de Donald Trump) avait ordonné l’arrestation et, dans de nombreux cas, l’exécution extrajudiciaire de « sympathisants communistes », dont des militants et des leaders syndicaux.

Et tout cela, pour citer le regretté journaliste Paul Marchand qui signait ainsi ses bulletins en direct des rues de Sarajevo en 1994, « dans l’indifférence généralisée de la communauté internationale ».

…on se console?

Quand on se compare, on se console, dit-on souvent. Surtout en comparant le Québec au reste du monde.

Oui et non.

Car un peu partout dans le monde occidental, la montée des partis politiques d’extrême droite entraine avec elle un anti-syndicalisme primaire qui menace à terme de déséquilibrer les rapports de force entre les travailleur·euses et leurs patrons, surtout ceux des grandes multinationales qui cooptent ou achètent carrément les élu·es.

Aux États-Unis, les années Reagan avaient donné le coup d’envoi de cette tendance et l’avènement du Tea Party puis les années Trump ont poursuivi le travail de sape.

Et quand le suzerain tousse, ses vassaux attrapent souvent la grippe.

Ici, le variant se nomme Éric Duhaime.