La fiscalité municipale, « un facteur structurant » de la crise du logement

Même si des mesures fiscales peuvent être mises en place pour sortir de la crise du logement, en ce début de campagne électorale, « le lien n’est pas fait ».

Le modèle fiscal actuel, dans lequel les impôts fonciers représentent près de 70 % des revenus municipaux, encourage l’étalement urbain et décourage les villes de contrer la spéculation immobilière.

Dans un contexte où les municipalités se font déléguer des responsabilités du provincial (comme l’entretien des routes, par exemple) et « doivent déclarer un équilibre budgétaire » sous peine d’être mises sous tutelle, elles deviennent constamment à la recherche de revenus, explique Adam Mongrain, directeur en habitation chez Vivre en ville.

Puisque la majorité du revenu des villes dépend de l’impôt foncier, une explosion de la valeur des propriétés signifie pour elles « plus de moyen pour s’occuper de leurs responsabilités gouvernementales ».

M. Mongrain prévient que « tant que les municipalités dépendent de l’impôt foncier dans leurs assiettes fiscales, elles n’auront pas beaucoup d’appétit pour la réduction des valeurs de propriétés, donc pour enrayer la spéculation ». De plus, il avertit que sans le pouvoir de s’endetter, « elles n’auront pas les moyens d’investir dans leurs territoires pour essayer d’endiguer les futures crises du logement ».

En plus de son rôle dans la crise du logement, la dépendance des villes et villages du Québec à l’impôt foncier mène à l’étalement urbain, d’après l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Elle crée « des pressions pour élargir le périmètre urbain pour générer plus de revenus, dans un contexte de changement climatique où on vise plutôt à densifier », explique Patrick Lemieux, conseiller aux communications pour l’Union.

LA POSITION DES PARTIS

QS, PQ et PLQ du même avis

Le maire de Saint-Camille et candidat de Québec solidaire dans Richemont, Philippe Pagé, tout comme Alexis Gagné-Lebrun, candidat du Parti québécois dans Saint-Hyacinthe, font échos aux propos de l’UMQ : la dépendance aux impôts fonciers incite à l’étalement urbain.

Pour le péquiste, donner de l’espace fiscal aux villes s’inscrit dans la pensée indépendantiste de son parti. « On n’aime pas la dépendance, y compris pour les municipalités. On pense que c’est important qu’il y ait une diversification de revenu », soutient M. Gagné-Lebrun.

M. Pagé, de QS, veut permettre aux municipalités d’appliquer certains tarifs, sur les logements inoccupés par exemple.

Le maire de Saint-Camille affirme aussi qu’il faut revoir la taxe foncière des terres agricoles : les agriculteur·trices sont incapables de la payer et elle est remboursée « jusqu’à 75 %, 80 % » par Québec. Avec la spéculation, « la valeur des terres est toujours en augmentation, donc l’argent qui doit être reversé aux agriculteurs [par le provincial] aussi ».

En juillet dernier, Dominique Anglade exprimait une position comparable à celle du PQ et de QS : « les municipalités ont plus de responsabilités, moins de moyens, et dépendent du foncier. C’est pour ça qu’on a besoin d’une réforme », pouvait-on lire dans La Tribune.

La position de la CAQ datant de l’ancien déficit

En mai dernier, avant que le déficit pour 2022-2023 soit revu à la baisse, François Legault avait refusé de réviser la fiscalité municipale. Il expliquait que les différents impôts et taxes proviennent de « vases communicants » et qu’ils seraient déjà « dans le plafond ». Il n’a pas remis sa position à jour depuis.

« Dans le cadre du sommet électoral qu’on va tenir à Montréal, le 16 septembre prochain, c’est certain qu’on va vouloir avoir des engagements clairs et fermes de la part de chaque chef, dont M. Legault », affirme Patrick Lemieux, de l’UMQ.

La Coalition avenir Québec, le Parti conservateur et le Parti libéral ont été invités à donner leur avis dans le cadre de cet article, mais n’ont pas donné suite aux demandes d’entrevue.

Sortir de la dépendance

L’UMQ considère qu’« on est pris dans un carcan fiscal », lance Patrick Lemieux. Alors que les villes ont de plus en plus de responsabilités, le mode de financement « n’a pas suivi ». Puisque « le gouvernement du Québec a reconnu les municipalités comme étant des gouvernements de proximité, il faut leur donner les moyens d’assumer leurs responsabilités », pose M. Lemieux.

Si l’Union précise que « quelques avancées mineures » ont été faites, pour M. Mongrain, de Vivre en Ville, « ce n’était pas à la hauteur des besoins liés aux nouvelles responsabilités ».

Dans leur rapport intitulé Portes ouvertes, qui propose des solutions concernant la crise du logement, Vivre en ville rappelle, entre autres, le cas de l’Allemagne : là, l’impôt foncier ne représente que 14 % du revenu des communes, dans un pays qui « a réussi à maintenir les prix résidentiels bas pendant de longues années de croissance économique ».

Contrairement à celles du Québec, les municipalités allemandes ont une grande autonomie financière, leurs revenus proviennent « de taxes et d’impôts sur les achats et les revenus, prélevés directement ou transférés sans condition » par les paliers de gouvernement supérieurs.

Vivre en ville reconnaît tout de même que « plusieurs facteurs structurels sont difficiles à exporter » de l’Allemagne vers le Québec.

Changer la taxe foncière

Nicolas Marceau, ex-ministre des Finances et de l’Économie du gouvernement Marois et professeur titulaire au Département des sciences économiques de l’UQAM, propose de modifier le fonctionnement de l’impôt foncier afin d’inciter à la densification et à la construction résidentielle.

En ce moment, les municipalités taxent les immeubles à un taux uniforme qui s’applique de la même manière au terrain et au bâtiment. Si l’on taxait davantage le prix du terrain et moins celui du bâtiment, « les propriétaires de grands terrains seraient incités à construire plus de bâtiments », ce qui « mènerait à la création de plus de pieds carrés habitables par pied carré de terrain », conclut M. Marceau.

Il souligne aussi que sa solution « ne coûte rien », les revenus des municipalités pouvant rester inchangés.

Absent du débat public

Même si les conséquences de la crise du logement ou l’étalement urbain prennent de la place dans le paysage médiatique, les questions de fond concernant l’aménagement du territoire occupent peu d’espace dans la sphère publique, déplore M. Marceau.

Selon l’ex-ministre « il faut que les gens se réveillent et se mêlent à ce débat ».

Pour Adam Mongrain, une grande réflexion collective serait un passage obligé avant de voir du mouvement de la part des partis. À son avis, « le lien n’est pas fait, ni dans la tête des gens ni dans la tête des partis ». Par exemple, « tout le monde convient que l’itinérance est un problème, mais combien de personnes font le lien explicite que la fiscalité des villes est un facteur structurant de notre crise d’itinérance? »

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