Le Parti conservateur du Québec (PCQ) est à bien des égards la nouvelle mouture du défunt Réseau Liberté-Québec (RLQ) co-fondé par Éric Duhaime il y a une décennie. Ce mouvement, fortement inspiré par les idées libertariennes, a été de courte durée. Malgré cela, il a réussi à imprimer ses idées dans le paysage politique québécois. Aujourd’hui, c’est le PCQ qui rallie ses militant·es et se fait le porte-étendard de ses propositions.
Les idées libertariennes s’invitent dans la campagne électorale
Du défunt Réseau Liberté-Québec au nouveau Parti conservateur, en passant par l’Institut économique de Montréal, la nébuleuse est toujours bien active. D’où vient-elle, quelles sont ses idées?
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« De la plateforme du RLQ à celle du PCQ »
« L’étrange liberté des libertariens »
Le Réseau Liberté-Québec (RLQ) a été fondé en 2010 dans le but de « favoriser le réseautage de tous les Québécois qui partagent des idéaux de liberté et de responsabilité individuelles ». À l’époque, les fondateurs du RLQ se défendent de vouloir créer un nouveau parti politique. L’objectif est plutôt de « mobiliser toutes les forces réformatrices situées à droite de l’échiquier politique au sein d’un mouvement de masse ».
Les membres fondateurs s’entendent pour que ce réseau ne fasse pas la promotion des idées de la droite sociale, morale ou religieuse. Cela ne l’empêche pas de parfois prendre une pause d’économie pour verser dans le discours de la droite identitaire.
La première conférence du RLQ a lieu à Québec en octobre 2010. Par la suite, le Réseau tient des événements à Montréal en avril 2011, à Lévis en mars 2012 et un dernier rassemblement en mars 2013 à Trois-Rivières. Environ 500 personnes y participent à chaque fois.
Parmi les intervenant·es et conférencier·ères, on retrouvera l’animateur de radio Jeff Fillion, le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, le fondateur du média d’extrême droite Rebel News Ezra Levant, des économistes comme Martin Coiteux et Vincent Geloso, l’ancien chef du PCQ et cofondateur de l’Institut économique de Montréal (IEDM) Adrien Pouliot, le politicien Maxime Bernier, l’économiste et chroniqueuse Nathalie Elgrably et d’autres.
Dans sa biographie d’Éric Duhaime, Frédérick Têtu explique la disparition du groupe par le fait que « le membership du RLQ a plafonné en dessous de 5000, ce qui laissait le mouvement sans grandes ressources financières. Les mêmes quelques personnes devaient toujours tout faire bénévolement et certaines d’entre elles commençaient à trouver la dynamique épuisante ».
Le clou final dans le cercueil du RLQ, selon Têtu, a été la présentation de la Charte des valeurs québécoises, suivant l’élection du Parti Québécois en 2012. « Une bonne proportion des membres du RLQ devinrent du jour au lendemain des gens pour qui la droite identitaire était devenue l’axe prioritaire », rapporte-t-il. Cet alignement ne cadrait pas avec celui des membres qui voyaient la proposition du ministre Bernard Drainville comme étant « en contradiction avec les valeurs d’égalité et de liberté individuelle ».
Dans son livre En rupture avec l’État, sur le mouvement libertarien au Québec, le journaliste Thomas Laberge rapporte que « [lorsque Éric Duhaime] se lance dans la course à la chefferie du PCQ, [il] prend contact avec d’anciens membres du RLQ afin de les convaincre de devenir des membres et des militants de la formation politique ».
Un des co-fondateurs du RLQ, le Dr Roy Eappen, est aujourd’hui candidat conservateur dans Notre-Dame-de-Grâce. Johanne Marcotte, co-fondatrice du RLQ, fait régulièrement la promotion du parti et de ses idées dans ses diverses tribunes médiatiques.
Mikey Colangelo Lauzon était le responsable local du RLQ pour la région de Lanaudière-Laurentides. Plus récemment, il a été candidat pour le PCQ dans Westmount–Saint-Louis en 2018 et a été le directeur exécutif du parti de 2018 à 2021.
Les origines du libertarianisme au Québec
L’histoire du libertarianisme québécois ne commence pas avec le RLQ, mais Éric Duhaime n’en est pas moins présent dès les origines.
En entrevue avec ReasonTV, Martin Masse, anciennement éditeur du webzine libertarien Le Québécois Libre et maintenant bras droit de Maxime Bernier au Parti populaire du Canada (PPC), raconte comment le mouvement libertarien canadien-français a pris naissance en 1995 avec la rencontre de cinq jeunes dans la vingtaine.
Ces cinq personnes étaient Martin Masse, Pierre Lemieux, économiste et auteur du livre Du libéralisme à l’anarcho-capitalisme, Michel Kelly-Gagnon, président de l’Institut économique de Montréal (IEDM) et brièvement président du Conseil du patronat du Québec, Pierre Desrochers, professeur de géographie à l’Université de Toronto Mississauga et… Éric Duhaime.
Thomas Laberge rapporte qu’au cours de cette rencontre, les cinq amis s’entendent sur trois priorités pour faire avancer le mouvement libertarien au Québec : relancer l’IEDM, créer Les amis de la liberté, une association servant de lieu de rencontre et à présenter des conférences et finalement, fonder un magazine (ce sera Le Québécois Libre, publié entre 1998 et 2016).
Tous les chemins passent par l’IEDM
Le 30 août dernier, alors qu’il présentait les baisses d’impôts promises par sa formation politique dans une cuisine de la Rive-Sud de Québec, Éric Duhaime écrivait sur un tableau blanc en consultant une feuille de notes arborant le logo de… l’Institut économique de Montréal.
La position centrale de l’IEDM dans le paysage libertarien est difficile à ignorer. Fondé par Pierre Lemieux et relancé par Michel Kelly-Gagnon à la fin des années 1990, ce think tank prône des idées libertariennes et de libre marché, comme la privatisation de la SAQ ou l’augmentation de la participation du privé dans le système de santé.
Michel Masse y a travaillé et c’est là qu’il aurait rencontré Maxime Bernier, qui en a été le vice-président exécutif avant de se lancer en politique.
Adrien Pouliot, chef du PCQ de 2013 à 2020, a participé à la relance de l’IEDM et a été président du think tank. L’actuel chef du PCQ, Duhaime, a également travaillé pour l’IEDM.
Plusieurs autres libertariens y ont également travaillé, comme Jonathan Hamel, Nathalie Elgrably et Vincent Geloso. « Il existe des liens entre l’IEDM et le [Québécois Libre] puisque plusieurs membres de l’institut étaient aussi des lecteurs ou des collaborateurs du webzine », peut-on lire dans En rupture avec l’État.
Ce n’est donc pas surprenant de constater que lors des élections provinciales de 2014, le chef du PCQ Adrien Pouliot déclare que son programme en santé « couvre les six recommandations de l’IEDM ».
Comme l’écrit Frédérick Têtu : « Pour ceux qui aimeraient être consolés de la disparition du RLQ, on peut rappeler qu’il y a maintenant un parti politique, le Parti conservateur du Québec, dont le chef entend maintenant résolument faire résonner les idées de centre droit sur la place publique québécoise. »