Entrevue

Magnifier la fierté des femmes autochtones

À travers sa lentille, l’artiste Caroline Monnet dépasse les clichés subis par les femmes autochtones.

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Artiste multidisciplinaire, Caroline Monnet sera cette année la porte-parole de la 15e édition de l’Expo World Press Photo Montréal (du 31 août au 2 octobre). Fille d’un père breton et d’une mère anishinaabe, Mme Monnet cherche dans sa démarche artistique à « aller à l’encontre des stéréotypes » attribués aux Autochtones. Durant l’exposition, elle présentera en première mondiale son exposition Ikwewak (Femmes), une série de photos mettant en scène des femmes des Premières Nations.

« C’est une belle opportunité, l’occasion de présenter mon travail à un large public et ça c’est extraordinaire. L’Expo World Press Photo Montréal, tout le monde y va, des gens de n’importe quel horizon! », exprime Caroline Monnet.

Pour elle, cet événement est « l’occasion idéale pour échanger, ouvrir un dialogue ». « Ça permet de faire un tour d’horizon des réalités actuelles qui se déroulent partout dans le monde aujourd’hui même! Ce sont des photos très poétiques, mais très chargées, parfois difficiles à regarder, mais le fait qu’elles soient montrées de façon artistique, et esthétique, ça permet un rapprochement avec ces réalités, et c’est nécessaire d’être bouleversé, d’être touché, d’apprendre », poursuit-elle.

Mme Monnet ajoute qu’elle a aussi accepté sa mission de porte-parole grâce à la photo gagnante de la catégorie Photo de l’année : Kamloops, un cliché d’Amber Bracken pris en mémoire des victimes des pensionnats autochtones. « Elle [la photo] me touche profondément et personnellement. M’inviter pour être porte-parole est alors un double symbole, selon moi », poursuit celle qui s’est toujours intéressée au photojournalisme.

En effet, bien qu’elle qualifie son propre travail d’œuvre d’art et non de journalisme, Caroline Monnet cherche depuis ses débuts à représenter des populations, notamment les Autochtones, et à faire passer des messages. « Je ne capture pas la réalité, je la construis en tant qu’artiste, mais il y a toujours une recherche de propos et des objectifs derrière mes œuvres », affirme celle qui a notamment réalisé le film Bootlegger, sélectionné plusieurs fois au dernier Gala Québec Cinéma.

Autoportrait de Caroline Monnet, tiré de l’exposition Ikwewak (Femmes)

« Des femmes, fortes, élégantes, excentriques et fières d’être autochtones »

Depuis 2016, Caroline Monnet explore différents mouvements artistiques « à travers la lentille autochtone ». Ainsi, en 2016, elle a créé le court-métrage Créatura Dada, rendant hommage à la mouvance artistique dada, qui remettait en question tous les codes esthétiques établis, un siècle plus tôt en Europe. Par la suite, elle s’est penchée sur la Renaissance ou encore la crise d’Octobre.

Aujourd’hui, avec son exposition Ikwewak (Femmes), elle poursuit ses recherches et plonge cette fois-ci dans le mouvement futuriste, un courant qui, lors de son apparition dans les années 1910, valorisait l’expression de la modernité et du dynamisme. « Dans Femmes, je pose un regard sur ma génération qui souhaite se transposer positivement dans le futur, en s’appuyant sur la tradition, tout en prenant la place qui lui revient dans la société. Il s’en dégage un sentiment d’effervescence pour l’avenir que nous bâtirons ensemble pour les sept générations à venir», déclare Mme Monnet.

L’artiste multidisciplinaire atikamekw Catherine Boivin | Photo tirée de la série Ikwewak (Femmes), de Caroline Monnet

Dans cette série photographique, six femmes ont été photographiées. Elles représentent toutes « des figures emblématiques, des femmes qui font de grandes choses », pour Caroline Monnet. On y retrouve notamment la cheffe et costumière déné Swaneige Bertrand ainsi que la cinéaste abénaquise Alanis Obomsawin.

« C’est pour montrer qu’il faut qu’on pense à un avenir ensemble, que la femme autochtone a sa place dans la construction de nos sociétés », ajoute-t-elle.

« J’ai créé moi-même les costumes que les femmes portent sur les photos », explique Caroline Monnet « C’est la première fois que ma pratique en image rencontre ma pratique en arts plastiques. » Comme dans ses installations et sculptures, elle a décidé d’utiliser des matériaux de construction pour élaborer les vêtements utilisés pour l’occasion.

Une « signature » qui lui permet d’évoquer différents enjeux. « Qu’est-ce que ça renvoie quand on porte son habitat? J’ai aussi voulu parler du fait de reprendre le contrôle de son habitat, d’autodétermination. Il faut traiter une maison comme un corps humain. Si elle est malade, ça affecte l’état physique, émotionnel, spirituel… Il faut ramener un peu de fierté dans les maisons qu’on construit et avoir une vision à long terme. Quels impacts on a sur notre environnement et lui sur notre bien-être? », se questionne la photographe.

À travers son travail, Caroline Monnet cherche à « représenter de façon positive les Autochtones ». « Souvent, ils et elles sont représenté·es de façon très sombre, et comme des victimes. Les femmes par exemple, on les montre souvent occupées en train de faire de l’artisanat », raconte-t-elle. Pour « sortir des stéréotypes », Mme Monnet est allée à l’inverse en proposant des images colorées et plus directes. « On y voit des femmes, fortes, élégantes, excentriques et fières d’être autochtones », conclut-elle. « Le plus souvent, je photographie des femmes qui regardent directement vers la caméra. Ça va à l’encontre du regard colonial qu’on a eu ou du regard anthropologique qu’on a l’habitude d’observer. »

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