Forêt du parc national de Konnevesi en Finlande | Photo : Mélina Nantel
Analyse

La Finlande, un modèle climatique pour le Canada?

Le pays nordique, qui vise notamment à être carboneutre d’ici quelques années, pourrait inspirer le Canada sur plusieurs aspects.

Premier au monde à introduire la taxe carbone en 1990, la Finlande se positionne comme leader mondial dans la lutte aux changements climatiques grâce à son plus récent plan d’action. L’objectif? Atteindre la carboneutralité d’ici 2035, soit quinze ans plus rapidement que le Canada.

Avec une géographie et un potentiel de bioénergies renouvelables comparables, la Finlande et le Canada ont des ressemblances qui leur permettraient de faire front commun dans la lutte climatique. Mais le Canada, qui traîne derrière, pourrait gagner à investir davantage dans les bioénergies, à reproduire le modèle finnois basé sur l’autogestion des villes et des entreprises, ainsi qu’à continuer l’effort de sensibilisation et d’éducation auprès de la population.

Des cibles climatiques différentes

La Finlande entend devenir le premier état complètement indépendant des énergies fossiles. Le pays espère devenir carboneutre d’ici 2035, c’est-à-dire atteindre un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine et celles absorbées par les puits de carbone – soit les forêts, les océans ou les sols qui absorbent le carbone que nous produisons.

Du côté canadien, le gouvernement Trudeau a annoncé viser la carboneutralité d’ici 2050. Alors que certains scientifiques affirment qu’il s’agit de « trop peu trop tard », d’autres croient plutôt qu’à la lumière de l’historique (in)action canadienne, il y a de quoi se réjouir. « Nous avons souffert d’une décennie d’inaction sous les gouvernements précédents. Les politiques climatiques sont remarquables par rapport à ce que nous avions avant », pense Tom Green, conseiller principal en politique climatique à la Fondation David Suzuki.

Selon les données recueillies en 2019 dans le cadre du rapport 1.5 Degree Lifestyles, la personne moyenne au Canada produit un équivalent de 14,2 tonnes de CO2, contre 9,7 tonnes en Finlande.

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Investir les bioénergies plutôt que le fossile

Pour dépasser la dépendance aux énergies fossiles, la Finlande prévoit remplacer celles-ci par des matières premières renouvelables, comme le bois, qui couvre plus de 65 % de son territoire. Si les forêts sont aussi abondantes, c’est entre autres grâce à l’Acte de la Forêt, qui depuis 1996, oblige à ce que pour chaque arbre abattu, quatre arbres soient plantés.

Le Canada partage une géographie similaire à la Finlande. Empli de forêts, le pays nord-américain a un potentiel énergétique immense. Le Québec compte d’ailleurs des dizaines de projets de centrales bioénergétiques, où les résidus organiques, comme les copeaux de bois ou les résidus agricoles, sont utilisés.

Mais les combustibles fossiles, comme le pétrole, sont encore largement exploités dans les provinces de l’Ouest. Cet or noir augmente l’empreinte écologique de l’ensemble du pays.

Selon John Robinson, qui a été professeur à l’école d’environnement de l’Université de Toronto ainsi qu’à l’École de commerce de Copenhague, l’usage que fait actuellement le Canada de ses bioressources n’est pas suffisant. « Le pétrole est une ressource trop précieuse pour être brûlée, car elle n’est pas renouvelable. En contrepartie, le bois représente une matière première de laquelle nous pourrions et devrions faire un meilleur usage énergétique. »

À titre comparatif, le bois émet une moyenne de 40 g de CO2 par kWh, contre 400 g pour le charbon. Tandis que le bois peut être replanté, et que les arbres absorbent le CO2 au cours de leur croissance, le charbon, le gaz et le pétrole, en plus d’avoir des émissions très élevées, ne peuvent pas être réabsorbés. Ces ressources non renouvelables participent donc directement à l’effet de serre.

Un modèle basé sur des actions concertées

En plus d’investir les bioénergies, la Finlande a mis sur pied des feuilles de route pour les différents secteurs de la société. Le pays cherche à impliquer chaque milieu dans la lutte aux changements climatiques, convaincu que les solutions se trouvent non seulement dans les mains des gouvernements, mais aussi dans celles des entreprises et des citoyen·nes.

« Cela passe par les millions de décisions qui sont prises chaque jour à tous les niveaux », croit Oras Tynkkynen, conseiller principal en matière de développement durable au Fonds d’innovation finlandais Sitra.

En plus d’avoir mis en place des normes climatiques et des plans stratégiques pour chaque secteur, le gouvernement finnois invite les entreprises privées à présenter leur propre plan de lutte. Une nouvelle loi leur accorde entre autres une déduction fiscale de 150 % pour les projets de recherche et de développement en matière de lutte climatique. Une loi est également prévue à l’automne 2022 afin d’obliger les municipalités à faire leur propre plan climatique.

Alors que Helsinki, la capitale de la Finlande, a été déclarée Capitale verte de l’Europe en 2021, de nombreuses villes et municipalités finnoises se démarquent par leurs innovations et leur implication. C’est le cas de la municipalité de Lahti, qui a mis sur pied une application afin d’encourager les citoyen·nes à faire des choix écologiques en matière de transport.

L’application mesure l’empreinte carbone de chaque déplacement. Les usagers ont donc accès à un budget hebdomadaire d’émissions, calculé selon leur mode de vie. Ceux qui réussissent à ne pas dépasser leur budget, et donc à économiser des émissions, ont droit à une sélection de rabais et de produits, gracieuseté de la municipalité.

Certaines villes canadiennes voient elles aussi des initiatives vertes jaillir. C’est le cas notamment de la ville de Toronto qui, avec sa forêt urbaine et la végétalisation des toits, a été classée « première ville durable » d’Amérique du Nord en 2018.

Chose certaine, le savoir-faire et les idées novatrices existent donc d’un pays à l’autre.

Toutefois, pour Tom Green, l’élément manquant au Canada serait l’impulsion financière et l’appui des gouvernements afin de supporter de tels projets.

Le modèle d’autogestion des entreprises et des municipalités sur lequel se base actuellement la Finlande permettrait aux villes canadiennes de prendre davantage de liberté – et donc de proposer des innovations à plus large échelle dans la lutte aux changements climatiques.

Être sensible au contexte sociologique

Pour le chercheur John Robinson, malgré des similarités notables entre la Finlande et le Canada, il ne suffirait pas d’appliquer le modèle finnois aux politiques canadiennes. Ce serait une grave erreur de le faire, puisqu’il existerait une différence notable au niveau de la socialisation et de la culture entre les deux pays, juge-t-il.

Selon le professeur, qui a travaillé plusieurs années en Scandinavie, cette différence se situerait au niveau de l’individualisme nord-américain, en opposition au collectivisme des pays scandinaves.

« En Suède, il y a un dicton qui dit “one must do this” (“chacun doit le faire”). Il y a un sens de l’obligation sociale qu’on retrouve beaucoup moins au Canada, et encore moins aux États-Unis où l’on se méfie de tout et de tous », explique le professeur.

Alors que le gouvernement finnois impose des cibles climatiques aux entreprises privées et aux municipalités, une approche aussi draconienne ne serait pas accueillie de la même manière au Canada, croit John Robinson. Il avance également l’idée que l’individualisme accru des Canadien·nes occasionnerait un rapport différencié à l’autorité. Des solutions plus autoritaires comme celles de la Finlande auraient le potentiel d’entraîner une certaine résistance au sein de nos sociétés nord-américaines, défend le chercheur.

Bien que plusieurs innovations aient émergé au Canada dans les dernières années, le collectivisme qui serait propre aux peuples scandinaves permettrait aux Finnois·es d’être plus concerté·es et actif·ves dans la recherche de solution, que ce soit au sein des municipalités, des écoles ou même des entreprises, où les initiatives citoyennes se multiplient. « Au Canada, la réussite climatique résiderait peut-être dans des politiques plus individualistes », conclut John Robinson.

L’éducation comme salut

Si l’avènement des réseaux sociaux et la globalisation de l’information ont exposé les plus récentes générations de jeunes Canadiennes et Canadiens aux enjeux climatiques, il semblerait que la Finlande a elle aussi son lot d’expériences à partager en la matière. Au sein des écoles, et ce, dès le primaire, la recherche critique d’information est enseignée aux élèves. Ceux-ci apprennent à distinguer les sources scientifiques du contenu indésirable, sans source ou non chiffré.

Les faits sur les changements climatiques sont également enseignés dès le plus jeune âge, afin de développer la conscience environnementale. Un guide pour les professeur·es existe également afin de les accompagner dans cette sensibilisation.

Les municipalités sont aussi nombreuses à investir dans des campagnes, où l’information circule et où les citoyen·nes sont appelé·es dès le plus jeune âge à agir.

À l’ère où la désinformation fait des ravages, les écoles canadiennes bénéficieraient de revoir leur agenda climatique, croit John Robinson. Selon lui, une société plus éduquée et plus sensible à la crise actuelle serait plus à même d’agir. « Beaucoup de gens pensent que nous n’avons pas beaucoup de temps. L’urgence est là. Mais on a le temps. Simplement, plus nous prenons le temps, plus graves seront les conséquences », pense John Robinson, qui demeure confiant que le Canada réussira à atteindre ses objectifs climatiques.

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