Des agent·es de la GRC indiquent à des demandeur·euses d'asile qu'il leur est interdit de traverser la frontière au chemin Roxham, en août 2017 | Photo : Daniel Case (CC BY-SA 3.0)
Entrevue

Récit : demander l’asile au chemin Roxham

Le nombre de personnes qui s’y risquent est en hausse, mais traverser la frontière de manière irrégulière demeure une expérience éprouvante.

Sama*, réfugiée palestinienne de Syrie, raconte son passage à la frontière canado-américaine, pour demander l’asile au Canada. Elle décrit la longue attente, ainsi que le traitement différencié qu’elle a constaté de la part des autorités frontalières.

« Après avoir traversé, tu dois donner toutes tes affaires, puis on te demande quelques informations de base et pourquoi tu traverses la frontière illégalement », explique la jeune femme aux cheveux courts, d’un ton clair et posé, malgré une certaine nervosité qu’on peut détecter dans sa voix.

Rencontrée au parc Jeanne-Mance à Montréal, Sama soutient avoir passé au total trois jours dans les installations de l’Agence des services frontaliers du Canada, au début de juillet.

En demandant l’asile, la bachelière de 27 ans aurait fait face à de premières difficultés. Et c’est à cause de son statut : en tant que réfugiée palestinienne de Syrie, elle ne possède qu’un document de voyage, mais pas de passeport formel, ni de Syrie ni de l’Autorité palestinienne.

Les autorités canadiennes ne savaient donc pas auprès de qui rapporter son arrivée au pays. « Ils n’étaient pas certains de la catégorie dans laquelle je tombais », raconte Sama, qui a grandi dans le camp de Yarmouk, au sud de Damas, la capitale syrienne.

Créé par l’ONU dans les années 1950 pour accueillir les Palestinien·nes fuyant la guerre israélo-arabe, le camp, devenu depuis un véritable quartier, a été tour à tour assiégé par les forces armées syriennes, saisi par le groupe armé État islamique, puis bombardé par le régime de Bachar Al Assad.

Attendre sans savoir pour combien de temps

Après cette première entrevue : deux heures d’attente, puis un transfert dans une roulotte des services frontaliers. Là, de nombreuses chaises alignées et un groupe d’environ cinq personnes de nationalités différentes, dont de jeunes enfants. Sama estime avoir attendu six heures, sans aucune information sur ce qui les attendait.

« J’avais des collations dans mon sac, mais on m’a interdit de les prendre », affirme Sama. Aucune nourriture n’aurait été donnée ce jour-là : dans la salle d’attente, seul un bidon d’eau était mis à disposition.

« Ce qui m’a choquée, c’est comment ils ont traité les enfants : qu’ils ne leur aient pas donné droit à leur collation, pendant huit heures… » relate-t-elle.

Sama raconte aussi que les agents réveillaient chaque personne qui tentait de s’endormir. « Il y avait un couple de Turcs et leur enfant, qui dormait, avec une jambe qui dépassait sur la bordure d’une autre chaise. Ils se sont fait avertir de n’utiliser qu’une seule chaise… Mais personne d’autre n’attendait, et plusieurs chaises étaient vides… C’était humiliant. »

Ce n’est que tard le soir que le groupe aurait été transféré vers une autre roulotte où des lits superposés les attendaient, arrivant ainsi trop tard pour la distribution du souper.

Un traitement arbitraire

Le lendemain, un déjeuner leur aurait été fourni. Mais toujours pas d’information sur la suite du processus. Sama raconte avoir attendu une journée entière sans savoir pourquoi et toujours sans accès à ses effets personnels.

« Il y avait une femme avec nous qui a eu ses règles et elle avait besoin de se changer, mais on l’a empêchée d’aller chercher ses produits menstruels, qui se trouvaient dans son sac », déplore Sama, pour qui il s’agit d’une question de dignité humaine.

Lorsqu’elle a demandé l’accès à son téléphone pour avertir sa sœur qu’elle était arrivée, on lui aurait refusé.

« Même quand tu es un criminel et que tu te fais arrêter, tu as le droit à un appel! » s’indigne-t-elle.

La jeune femme, qui fait régulièrement des migraines, dit aussi avoir été privée de ses médicaments antidouleurs. « Par contre si vous fumiez et que vous aviez besoin de vos cigarettes, c’était permis. Et ce n’était pratiquement que des hommes » qui fumaient, dénonce Sama. Les fumeurs auraient ainsi eu accès à leurs sacs et téléphones.

Confusion

Le lendemain matin, elle aurait été appelée par les agents d’immigration, avant le déjeuner, manquant son premier repas de la journée.

Elle aurait alors appris que sa demande d’asile était rejetée, pour en avoir déjà fait une aux États-Unis, où elle habitait depuis sept ans. C’est l’un des effets de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre les Canada et les États-Unis.

Cependant, Sama se serait fait dire qu’elle n’était pas menacée de déportation et qu’elle pouvait s’en aller.

Le groupe aurait cependant été emmené dans un hôtel, l’un de ceux réquisitionnés par le gouvernement fédéral pour héberger les demandeur·euses d’asile. « À ce moment-là, j’ai vraiment eu peur : j’ai pensé qu’ils allaient me mettre en quarantaine », relate Sama, qui avait pourtant fourni des preuves vaccinales jugées valides et donné l’adresse de sa sœur comme lieu d’isolement potentiel en cas de COVID-19.

Les agents lui auraient ordonné d’y passer la nuit, mais Sama dit avoir protesté en s’asseyant sur le sol. « Arrêtez-moi ou bien laissez-moi partir! »

« J’ai paniqué parce que ça fait sept ans que je n’ai pas vu ma famille, et je savais qu’ils étaient à Montréal pour un mois. J’avais peur de devoir rester isolée pendant deux semaines et de ne pas pouvoir les voir », soupire-t-elle.

À ses questions, les agents auraient systématiquement refusé de répondre. « Si au moins on m’avait informée sur la prochaine étape, je n’aurais pas pu me plaindre, mais je ne comprenais pas pourquoi on devait rester à l’hôtel : est-ce que c’était pour faire une quarantaine? Allions-nous être envoyés dans une autre province? »

Ce n’est qu’après avoir insisté et après de nombreux va-et-vient des agents frontaliers qu’on l’aurait finalement laissée appeler sa sœur pour qu’elle lui commande un taxi. Sama dit n’avoir pu quitter l’hôtel qu’à 22h00, près de trois jours après son arrivée au pays.

Maintenant qu’elle est réunie avec sa sœur, Sama prend le temps d’atterrir au Québec. Elle espère pouvoir demander un permis de travail et s’inscrire aux cours de français pour nouveaux arrivants. Mais pour l’instant, elle en profite pour visiter les rues de Montréal et rattraper le temps perdu.

* Un nom d’emprunt a été utilisé pour protéger son identité.

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