L’insalubrité : l’autre visage de la crise du logement

À LaSalle, un complexe de 260 portes, le Renaissance, porte dorénavant très mal son nom. Ses résidences sont aux prises avec divers problèmes de salubrité. Tout doit être fait, des tâches domestiques simples (passer l’aspirateur sur le tapis du corridor) aux gros entretiens (réparer les portes arrière de l’immeuble, pour éviter que des squatteurs ne s’y installent). 

Je discutais début juillet avec D*, une des locataires touché·es  qui m’expliquait l’étendue des problèmes. « On n’a pas ramassé les poubelles pendant des mois. Ça attirait les rats et les souris. Certains locataires se sont retrouvés sans eau chaude ni chauffage en plein hiver. Il y a des problèmes de plomberie, on doit tout réparer soi-même. Les propriétaires sont indisponibles, il n’y a aucun moyen de les joindre. »

Le groupe Banvest est propriétaire du complexe. La compagnie a acheté 3000 logements au cours des cinq dernières années et est devenue un des plus importants acteurs immobiliers au Québec. Elle se fait discrète, mais ce n’est pas la première fois que des logements qu’elle possède se retrouvent dans (ou sans) l’eau chaude. Par exemple, les médias locaux ont rapporté des difficultés analogues aux Jardins Toulouse à Longueuil. ACORN, un syndicat de locataires, travaille aussi avec les locataires de la place Côte-Vertu à Saint-Laurent, un autre immeuble de Banvest. Là aussi, les problèmes de salubrité s’accumulent : vermines, moisissures, déchets entassés. 

J’ai demandé à D si elle pensait que c’était une stratégie pour faire partir les locataires afin d’augmenter plus rapidement les loyers. « Il n’y a pas de doute », m’a-t-elle dit. Car après les rénovictions, l’autre moyen pour chasser les résident·es est de simplement laisser l’immeuble à l’abandon.

Pour se battre, les habitant·es du complexe Renaissance ont pu compter sur le soutien d’ACORN. Plusieurs actions ont été entreprises, dont une pétition déposée au conseil d’arrondissement. Les élu·es sont informé·es et le Service de l’habitation de la Ville travaille au dossier. Depuis, les poubelles sont ramassées chaque semaine, mais plusieurs problèmes subsistent.

Inaction devant l’insalubrité

À Montréal, très peu d’inspections mènent à des constats d’infraction. Quand ils sont émis, ils peuvent s’additionner. Mais selon une enquête du Devoir, le « montant moyen de ceux-ci a oscillé entre 681 $ et 1500 $ au cours des trois dernières années ». Pour une entreprise qui gère des milliers d’immeubles, on comprend combien ces amendes ont un effet marginal.

Et surtout, obtenir les réparations nécessaires peut prendre un temps fou.  Au complexe Renaissance, les représentant·es du Service de l’habitation de la Ville de Montréal et de l’équipe d’inspection de LaSalle ont affirmé qu’il faudrait un an environ pour soumettre le propriétaire à une obligation de réparation. Or, pendant tout ce temps, la santé physique et psychologique des locataires est affectée.

Le Tribunal administratif du logement (TAL) est lui aussi inefficace pour agir rapidement. Une étude de 2020 de Martin Gallié, professeur en droit du logement à l’UQAM, démontrait que dans les cas d’insalubrité, il s’écoulait en moyenne quatre ans entre le moment des faits constatés et le jugement du TAL. 90 % des locataires enquêté·es ont quitté leur logement avant la fin des procédures judiciaires.

C’est donc dire que même quand ils perdent au change, les propriétaires s’en trouvent gagnants. Écarter les ancien·nes locataires par tous les moyens s’avère trop souvent une stratégie payante. D’ailleurs, un représentant d’ACORN m’a rapporté que le Renaissance n’avait accueilli aucun nouveau locataire depuis juillet. Tout est fait pour vider la place de ses occupant·es.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) s’est penché en 2019 sur les actions à entreprendre en matière de salubrité. Sans surprise, le TAL devrait avoir accès à plus de ressources et à un meilleur financement afin de réduire les délais d’attente. Il serait aussi possible d’avoir un code du logement provincial. Il s’agit d’une vieille revendication des groupes de logement, qui veulent voir le pouvoir des municipalités lors des inspections augmenter.

Et surtout, il faudrait une approche globale et intégrée entre les différents acteurs impliqués. Les tâches sont mal réparties entre les différents intervenants.

Au-delà des enjeux de concertation, le gouvernement Legault n’a de son côté aucune solution pour combattre l’insalubrité des immeubles dans le parc locatif. Bien en retard sur les problèmes vécus par les locataires, il refusait jusqu’à récemment de reconnaître la crise du logement. Un déni qui n’a d’égal qu’une couche de peinture fraîche sur les moisissures qui envahissent le plafond d’une salle de bain.

* L’anonymat préserve la locataire de représailles.

Angélique Soleil Lavoie est candidate de Québec solidaire dans Marguerite-Bourgeoys