Acheter la forêt pour la protéger

Un OBNL piloté par des citoyen·nes de l’Outaouais achète des terres privées pour protéger la biodiversité de la région.

L’organisme Action Chelsea pour le respect de l’environnement (ACRE) a récemment acheté la forêt des Cent Acres, une terre privée importante pour plusieurs espèces de la région. Alors que le sud du Québec est aux prises avec le morcellement et la destruction de ses milieux naturels, les initiatives comme celles de l’ACRE peuvent jouer un rôle crucial dans le maintien de la biodiversité.

Située au cœur de la municipalité de La Pêche en Outaouais, la forêt des Cent Acres est composée d’un vaste boisé et d’une ancienne terre agricole. Elle est une pièce importante d’un des corridors écologiques [voir encadré] reliant le parc de la Gatineau et la rivière du même nom, explique Olaf Jensen, membre du conseil d’administration d’ACRE.

Son acquisition vient donc renforcer la capacité d’adaptation aux changements climatiques d’une zone écologique qui héberge près de 2000 espèces de plantes et d’animaux, dont 133 seraient en danger. Parmi ces espèces à risque, le faucon pèlerin, la tortue mouchetée, l’ail des bois et le frêne d’Amérique, selon la Commission de la capitale nationale.

L’achat de la forêt des Cent Acres vient doubler le territoire protégé par Action Chelsea, explique Olaf Jensen. Actif depuis 1998, l’OBNL s’est lancé depuis une dizaine d’années dans l’acquisition de pour s’assurer que suffisamment de milieux naturels soient conservés dans la région de Chelsea, où les nouveaux projets immobiliers se sont multipliés dans les 30 dernières années.

La forêt des Cent Acres a pu être achetée grâce au financement d’organismes nationaux, de la municipalité et de citoyen·nes de la région.

La forêt sert de havre pour une foule d’insectes et d’animaux des environs.

Le sud du Québec sous haute pression

La tension entre le développement immobilier et les besoins de conservation des milieux naturels est une dynamique que l’on retrouve dans tout le sud du Québec, explique la directrice générale du Conseil régional de l’environnement de la Montérégie, Andréanne Paris.

Une situation difficile, puisque ce sont les régions où il y a le plus de biodiversité, mais aussi celles où il y a le plus de développement et où il est le plus difficile d’intervenir, souligne Julien Poisson, directeur de programme chez Conservation de la nature Canada.   

« Le gouvernement a beau s’engager à protéger des milliers d’hectares dans le nord, protéger au sud un petit dix hectares clé pour la survie d’une espèce qui peut disparaitre demain, ça aura beaucoup plus d’impact », insiste-t-il.

À quelques centaines de mètres du terrain protégé, un nouveau développement immobilier vient gruger sur la forêt environnante.

La pression mise sur la nature par l’étalement urbain fragmente, isole, réduit ou carrément détruit les milieux naturels, résume-t-il.

Or, il est n’est pas facile pour les gouvernements d’intervenir pour protéger les espèces de la région puisque l’essentiel des terres y sont privées, pointe Andréanne Paris. « La loi sur la protection des espèces en péril ne s’applique qu’en terre publique », précise-t-elle.

Il est donc important, selon M. Poisson, d’acheter les milieux naturels qui sont encore en bon état, comme la forêt des Cent Acres, pour assurer leur conservation à perpétuité.

L’abord du site est jonché de quenouilles. Une plante indigène qui sert de nourriture à de nombreuses espèces animales et dont la présence est en recul dans la province en raison de la compétition d’espèces exotiques envahissantes.

Impliquer la communauté

Bien que la forêt des Cent Acres soit maintenant protégée, le travail de protection est loin d’être terminé. Le maintien de l’intégrité du milieu naturel reviendra maintenant à l’ACRE, explique Olaf Jensen. Pour ce faire, l’organisme a mis sur pied un comité d’intendance composé de différents acteurs locaux qui s’assureront que la forêt demeure en bon état. Ce travail s’annonce plutôt aisé, puisque, contrairement à plusieurs milieux naturels dans le sud du Québec, le boisé est déjà relativement bien conservé.

Les défis d’intendance seront principalement reliés à l’entretien des nombreux sentiers qui parcourent la propriété, explique Olaf Jensen. Ces sentiers, dont certains existeraient depuis très longtemps, sont très appréciés de la population des alentours, qui les utilise pour faire du vélo de montagne, du ski de fond et de la raquette, rapporte-t-il. « Ils ont été établis par la communauté et entretenus par les citoyens, nous voulons juste nous assurer que nous n’allons pas détériorer l’environnement par leur utilisation. »

Entretenir les sentiers de façon à ce qu’ils ne nuisent pas à la nature environnante demandera un effort constant pour les prochaines années.

Ces sentiers ne sont pas une menace pour le boisé, au contraire, puisqu’il est beaucoup plus facile d’entretenir un milieu naturel si la communauté environnante est impliquée, selon Julien Poisson. « C’est beaucoup plus facile d’encadrer un usage que de l’interdire », résume-t-il.

Le rôle des propriétaires

L’enthousiasme des ex-propriétaires de la forêt des Cent Acres pour la protection des espèces de la région a joué un rôle important pour la préservation de ce bout de territoire, raconte Olaf Jensen.

La forêt des Cent Acres faisait partie du terrain de Christopher Minnes et de sa famille, des agriculteurs de la région qui cultivaient une partie du terrain et louaient la partie boisée à un organisme offrant des cours d’initiation à la nature, relate M. Jensen. « La famille Minnes a toujours eu de l’intérêt pour la conservation. Nous étions en discussion avec eux depuis six ans, toujours avec l’idée de trouver une façon de conserver la propriété. »

D’ailleurs, Christopher Minnes avait entrepris de reboiser la portion agricole du terrain en y plantant 20 000 arbres grâce à un programme d’Arbres Canada, en plus de laisser une partie des terres en friche, explique M. Jensen.

Comme acquérir des terrains pour assurer leur protection est coûteux, la défense des milieux naturels restants passe donc en partie par l’éducation et le soutien des propriétaires, avance Andréanne Paris. Les propriétaires peuvent devenir d’important·es allié·es pour la conservation, pour autant qu’ils et elles soient au courant de l’importance que leur terrain joue pour la biodiversité, croit Mme Paris.

Il n’en reste pas moins que, maintenant que le terrain a été racheté par l’ACRE et qu’il bénéficie d’un statut de protection, les efforts de conservation des anciens propriétaires sont assurés d’être préservés pour le long terme, souligne Olaf Jensen.

Les corridors écologiques permettent le passage des espèces d’un milieu naturel à un autre.

Qu’est-ce qu’un « corridor écologique » ?

Les corridors écologiques sont des zones qui permettent de connecter les milieux naturels entre eux. Ils permettent à la faune et à la flore de migrer d’un habitat à un autre, explique Julien Poisson.

Ils auront un rôle important à jouer dans les prochaines années, alors que les changements climatiques poussent les espèces vers le nord au fur et à mesure que la planète se réchauffe. « Il faut créer des corridors maintenant pour des espèces qui vont avoir à migrer dans 100 ans. Si nous attendons que les milieux soient détruits pour le faire, ça va demander un travail colossal et coûter beaucoup trop cher », prédit M. Poisson.

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