L’Agence du revenu du Canada (ARC) a récupéré plus de 18 milliards $ d’impôts non payés en 2018. Leur travail serait toutefois miné par des stratagèmes légaux d’évitement fiscal.
Entre 7 et 9 % des recettes fiscales canadiennes ont échappé aux coffres de l’État en 2018, selon un récent rapport de l’ARC. Une somme qui représente entre 18,1 et 23,4 milliards $, selon les différentes méthodes d’estimation utilisées par l’agence. Cela pourrait toutefois n’être que la pointe de l’iceberg de l’ensemble des impôts évités par les contribuables canadiens, d’après le chercheur de l’Institut de recherche socio-économique (IRIS) Colin Pratte.
« L’exercice de l’ARC est une mesure de l’impôt impayé qui est due à des pratiques et des omissions illégales. Or les problèmes de non-paiement d’impôt sont bien souvent dus à des stratagèmes tout à fait légaux », explique-t-il.
Resserrer le cadre légal
Une situation qui prévaut puisque des particuliers fortunés et des entreprises pratiquent de l’évitement fiscal abusif, précise le coordonnateur du collectif échec aux paradis fiscaux, William Ross.
Plusieurs programmes, comme les crédits d’impôt de recherche et développement et les régimes enregistrés d’épargne retraite (REER) permettent aux contribuables de diminuer les impôts qu’ils doivent payer, explique-t-il. Selon lui, certains contribuables utiliseraient toutefois ces programmes d’une façon qui n’a rien à voir avec leurs objectifs initiaux. « Ils s’en servent dans une logique qui ne suit clairement pas l’esprit des lois, mais qui respecte tout de même leurs termes », observe-t-il.
Investissement international ou évasion fiscale ?
Une des mesures qui est ainsi détournée selon Colin Pratte concerne les traités de non double imposition conclue entre le Canada et des législations assimilables aux paradis fiscaux. Ces ententes permettent normalement d’éviter qu’un bien ou un service soit doublement taxé lorsque sa production nécessite une collaboration internationale, explique-t-il. “Si Bombardier construit un train en Allemagne qui doit être utilisé au Québec, ce serait abusif qu’il soit imposé deux fois”, illustre William Ross. Une mesure justifiée lorsque les deux pays imposent des fardeaux fiscaux équivalents, mais qui devient difficile à légitimer lorsqu’un des deux pays récolte peu ou pas d’impôts, remarque Colin Pratte.
« Le gouvernement canadien a sciemment conclu ces ententes avec des pays dont les pratiques fiscales sont attribuables aux paradis fiscaux. Ils sont les artisans de l’évitement fiscal dont ils sont eux-mêmes victimes », résume-t-il.
Les investissements dans ces pays sont très élevés, ce qui laisse présager qu’ils sont toujours une échappatoire de choix pour les canadien.es, rappelle William Ross. « Parmi les dix pays où les Canadiens investissent le plus, 5 sont des paradis fiscaux », remarque Colin Pratte.
Rappelant que les investissements étrangers ne sont pas nécessairement synonymes d’évasion fiscale, l’ARC surveille la situation de près, explique son porte-parole Christopher Doody. Selon le rapport, jusqu’à 30 % de l’évasion fiscale faite par les particuliers serait reliée aux investissements internationaux. L’agence ne chiffre toutefois pas la part des impôts impayés par les entreprises qui serait reliée aux investissements internationaux.
S’attaquer aux petits poissons
Dans son rapport, l’ARC concède toutefois qu’elle rencontre plusieurs obstacles dans la vérification des activités étrangères des contribuables canadiens. La difficulté d’obtenir des données fiables, la complexité des stratagèmes mis en place et le grand nombre de ressources nécessaires aux enquêtes rendent très difficile ce type de vérification. Devant ces difficultés, l’agence aurait tendance à concentrer ses efforts sur les cas moins compliqués et plus faciles à démontrer, selon William Ross.
« C’est ce qui fait qu’on prend les petits poissons plutôt que de s’attaquer aux grands requins », illustre-t-il.
Une des solutions potentielles, selon Colin Pratte, serait d’étendre le mandat de l’ARC afin qu’elle puisse contribuer à exposer les stratagèmes fiscaux qui sont malhonnêtes, bien que légaux. Le chercheur souligne que l’agence serait très bien placée pour étudier et exposer ces tactiques puisqu’elle a accès à des données dont ne disposent pas ceux et celles qui étudient généralement la question. « Nous avons limité le mandat de l’ARC à la surveillance des activités illégales. Si nous voulons qu’elle joue pleinement son rôle, il faut lui permettre de surveiller l’ensemble des pratiques visant à ne pas payer une juste part d’impôt », conclut-il.
Avec la contribution de Sam Harper