La reprise du profit plutôt que du revenu

Les entreprises canadiennes sortent de la pandémie avec une plus grande part de la richesse du pays. Une poussée qui aurait été faite aux dépens des travailleur.es.

La proportion du produit intérieur brut (PIB) canadien associé au profit des entreprises est en hausse et celle reliée au salaire des travailleur.es est en baisse, selon une analyse du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Une situation qui pourrait accroître les inégalités de richesses au pays dans un contexte où la lutte à l’inflation pourrait mener à une récession.

Le poids occupé par le salaire des employé.es dans l’économie canadienne est en recul de 0,8 % par rapport au niveau prépandémique, selon les données de Statistique Canada. Au même moment, les profits des entreprises ont connu une hausse de 2,8 %. « C’est vraiment la reprise du profit et non pas celle du revenu des travailleurs, » explique l’économiste du CCPA et auteur du rapport, David Macdonald.

Une récession correspond à un recul du PIB pendant deux trimestres consécutifs, explique le chercheur de l’Institut de recherche socioéconomique (IRIS), Guillaume Hébert. « Normalement lorsqu’elles surviennent, la profitabilité des entreprises étant plus volatile, c’est elle qui est frappée de plein fouet, » précise-t-il. Ce n’est toutefois pas la première fois qu’une récession profite plutôt aux compagnies, la situation s’étant produite suivant la récession de 1981, rappelle David Macdonald. « Ce qui est unique cette fois-ci c’est l’ampleur de leur gain », observe-t-il.

En contrepartie : le plein emploi

La situation économique actuelle reste plutôt positive pour la classe ouvrière en tant que groupe, nuance le professeur d’économie à l’Université d’Ottawa David Gray. « Nous sommes en situation de plein emploi, la plupart des travailleurs travaillent et il y a donc très peu de laissés pour compte », explique-t-il.

Il y aurait effectivement un rapport de force intéressant pour les travailleur.es qui tentent d’améliorer leur situation, selon Guillaume Hébert. D’après  lui, cet avantage tarde toutefois à se matérialiser de façon tangible. En fait, les gains réalisés par les employé.es canadiens durant les derniers mois restent inférieurs à la hausse du coût de la vie, rappelle David Macdonald.

Les salarié.es n’ont pas beaucoup de flexibilité quand vient le temps de négocier leur salaire, il est donc normal qu’ils prennent plus de temps à s’ajuster aux facteurs tels que l’inflation, explique-t-il. Selon lui, il est donc possible que les salaires bénéficient d’un certain rattrapage dans les prochains mois

 « Toutefois, si la Banque du Canada cause une récession en tentant de combattre l’inflation, ce recul risque de devenir permanent », prévient-il.

Combattre l’inflation avec les mauvais outils

Alors que l’inflation a atteint 7,7 % de variation sur 12 mois pour le mois de mai, le Canada s’appuie principalement sur les actions de sa banque centrale pour contenir la situation, rappelle David Macdonald. Le problème, reconnu par les trois chercheurs, c’est que les outils dont dispose la Banque du Canada pour y arriver n’ont finalement que très peu d’effets sur les causes réelles de l’inflation. Tout ce qu’elle peut faire c’est utiliser sa politique monétaire et influencer les taux d’intérêt pour tenter de ralentir l’économie canadienne, explique David Gray.

« Cependant, nous ne contrôlons pas le cours mondial du pétrole pas plus que nous contrôlons la guerre en Ukraine. Dans le contexte, ce n’est pas évident une hausse des taux d’intérêt qui ne s’applique qu’ici peut avoir un impact sur l’inflation », précise David Macdonald.

Il faudrait donc hausser massivement les taux d’intérêt pour espérer endiguer la crise, ce qui est loin d’être souhaitable et qui risque effectivement de créer une récession, selon David Gray.

Selon lui, la banque centrale aura donc besoin de renfort pour contenir la situation sans créer de récession. Une constatation que partage David Macdonald qui souligne toutefois que le gouvernement fédéral tarde à agir sur la question. Il rappelle que le plan d’action qu’ils ont dévoilé il y a quelques semaines ne contient finalement aucune nouvelle mesure pour adresser la crise. « La totalité de ce qu’ils proposent provient des deux derniers budgets, ce sont des mesures utiles, mais elles ne visent pas l’inflation spécifiquement. »

Une récession pour aider les plus riches

Dans le contexte actuel, risquer une récession pour combattre l’inflation pourrait creuser davantage le fossé des inégalités au pays selon Guillaume Hébert.

« C’est certain que l’inflation est un problème pour le pouvoir d’achat de la plupart d’entre-nous, mais c’est chez les grandes fortunes qu’elle frappe le plus durement, » rappelle-t-il.

L’inflation venant diminuer la valeur de l’argent, ce sont les personnes qui en possèdent le plus qui ont le plus à perdre si la crise se prolonge, explique-t-il. En contrepartie, ceux et celles qui sont le plus endettés voient la valeur réelle de leur dette diminuer ce qui, selon lui, vient leur donner un coup de pouce, surtout si les taux d’intérêt restent relativement bas.

Ce serait une exagération de conclure qu’une récession serait positive pour les entreprises, concède Guillaume Hébert. « Pour les plus riches, reprendre le contrôle de l’inflation reste toutefois vital et s’ils peuvent rétablir le rapport de force avec les employé.es du même coup, une récession pourrait assurer que les caractéristiques principales de l’économie restent en leur faveur », explique-t-il. Selon lui, une éventuelle récession risquerait donc d’accentuer davantage les inégalités entre employeurs et employés. « Surtout s’ils en ressortent avec une plus grande part des profits, comme nous l’avons vu avec la récession causée par de la pandémie », conclut-il.

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