Des entreprises canadiennes s’attaquent aux lois environnementales étrangères

Les traités de libre-échange canadiens permettent aux compagnies minières et énergétiques de bloquer la législation environnementale des pays où elles s’installent.

Le Canada est un joueur clé dans un système mondial permettant aux entreprises de poursuivre les États qui prennent des décisions allant contre leurs intérêts, selon un rapport du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Cette pratique pourrait constituer un frein majeur pour l’action climatique.

Un nouveau rapport du CCPA recense 56 cas où des compagnies enregistrées au Canada ont profité des mécanismes de « résolution de conflits » inclus dans les traités commerciaux canadiens pour exiger d’importantes compensations financières à des pays étrangers. Dans bien des cas, ces poursuites peuvent avoir pour effet de renverser des lois ou des règlements adoptés par ces États pour  protéger leur territoire ou l’environnement.« Ces entreprises n’ont même pas besoin d’être canadiennes, tout ce qu’elles ont besoin c’est d’avoir une case postale au Canada », précise l’auteur du rapport, Hadrian Mertins-Kirkwood.

Ces 56 cas ont été recensés entre l’instauration de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1994 et le 31 décembre 2021. Ces poursuites pourraient toutefois ne représenter que la pointe de l’iceberg, car elles ne sont généralement pas publicisées, ajoute-t-il.

Elles affectent principalement les pays en voie de développement et visent généralement à briser des législations découlant directement de mouvements de contestation populaires, selon le rapport. Les poursuites intentées par les entreprises canadiennes concernent le plus souvent des mesures encadrant la gestion des ressources et de l’énergie (43 % des cas). En deuxième place, on trouve les poursuites contre des législations environnementales (21 % des cas).

Les compagnies gagnent leur cause dans la majorité (59 %) des cas. En comptant les victoires et les ententes hors cours, elles se sont vu attribuer plus de 10 milliards $ US en compensations.

Ce système de résolution des différends prend la forme d’un tribunal où des avocats spécialisés discutent derrière des portes closes, explique le coordonnateur de MiningWatch Canada, Jamie Kneen. « Ce système ressemble à un tribunal, mais il lui manque plusieurs des aspects centraux à un système de justice. Il n’est pas neutre ni transparent et il n’est pas lié par la loi ou la jurisprudence pour rendre ses décisions », remarque Hadrian Mertins-Kirkwood.

« Ce système fonctionne à sens unique, car les compagnies peuvent poursuivre des États, mais pas l’inverse », ajoute-t-il.

Pour l’instant, cette stratégie est surtout utilisée par les compagnies minières, explique Jamie Kneen. Ces poursuites dissuasives pourraient toutefois devenir un enjeu de taille, prévient Hadrian Mertins-Kirkwood : l’industrie fossile risque d’y recourir plus fréquemment, alors que l’ensemble de nations doit mettre en place des mesures pour réduire leur dépendance au pétrole, au gaz et au charbon.

« Les entreprises du secteur énergétique ont déjà mené quelques poursuites entourant l’abandon de projets d’oléoduc et la fermeture de centrales au charbon, mais elles risquent d’être plus actives dans les prochaines années », prévient-il.

Une perte de souveraineté des États

Ces poursuites viennent entraver la capacité des États à prendre des décisions, puisqu’ils peuvent avoir peur d’être poursuivis par les multinationales, remarque Jamie Kneen.

« Les défenseurs du système disent que c’est faux, puisque les États peuvent faire ce qu’ils veulent, pourvu qu’ils soient prêts à compenser les compagnies affectées », ajoute Hadrian Mertins-Kirkwood. Cet argument ne tient pas la route, selon lui. 

« Les pays comme le Canada peuvent payer des compensations et aller de l’avant avec leur politique environnementale, mais qu’en est-il des pays du Sud ? Déjà que la transition énergétique demandera d’énormes dépenses, ils ne pourront pas payer des compensations en plus », pointe-t-il.

Il donne en exemple la minière canadienne Barrick Gold, qui a poursuivi le Pakistan pour avoir bloqué un projet minier. Le processus d’arbitrage a accordé à la minière un droit de compensation de près de 6 milliards $ US en 2019. « Cela représente 2 % du PIB pakistanais, c’est ridicule. Tout ça pour du travail qui n’a pas encore été fait et des profits purement théoriques », se désole-t-il. Dans ce cas, le gouvernement pakistanais a finalement reculé. La mine, qui avait été bloquée par un processus législatif légitime, a finalement pu aller de l’avant.

Le Canada leader dans l’injustice  

Le Canada pourrait jouer un rôle dominant dans la réforme de ce système puisqu’il en est un des principaux artisans, croit Hadrian Mertins-Kirkwood. « Ce n’est pas pour rien que près de la moitié des minières mondiales ont leur siège social au Canada : nos ententes internationales leur sont très bénéfiques, entre autres en raison de ce système de gestion des différends », remarque Jamie Kneen.

Il reste toutefois très sceptique quant à la volonté du gouvernement canadien à corriger ses torts dans ce domaine. « Les problèmes causés par les systèmes de règlement des différends sont connus depuis longtemps par le Canada, mais nous continuons de les imposer dans tous nos accords », dénonce-t-il.

Des précédents permettent toutefois d’espérer une réforme graduelle du système, argumente Hadrian Mertins-Kirkwood. « Lors de la renégociation de l’ALENA, Chrystia Freeland [alors ministre canadienne des Affaires étrangères] a fait annuler les clauses d’arbitrage entre le Canada et les États-Unis. Nous avons aussi vu quelques pays du Sud les refuser au moment de renouveler une entente », explique-t-il.

Une autre approche possiblement plus facile à réaliser consisterait à inclure des clauses d’exception pour les mesures environnementales dans les accords existants, remarque le chercheur. « À défaut de s’en débarrasser complètement, empêcher les compagnies de bloquer des mesures nécessaires pour sauver le climat serait un bon début », résume-t-il.

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