Des gens d’affaires membres d’un groupe religieux controversé ont financé une organisation derrière des publicités anti-Trudeau

Plus d’une dizaine d’individus auraient versé des dons totalisant près de 40 000 $ à un groupe tiers, et ce, en l’espace de 48 heures, selon des informations fournies par Élections Canada.

Des membres d’un groupe religieux controversé auraient contribué au financement d’une organisation qui a mené des campagnes publicitaires attaquant Justin Trudeau et d’autres candidats libéraux durant la campagne électorale fédérale de 2019. Cette organisation tierce est aussi liée à l’industrie pétrolière, au Parti saskatchewanais de Scott Moe et au Parti conservateur uni de Jason Kenney.

L’Église chrétienne des Frères de Plymouth (ECFP), connue en anglais sous le nom de Plymouth Brethren Christian Church, est un groupe religieux ne comptant que quelque 50 000 membres dans le monde, concentré·es en majorité au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Au Canada, on estime qu’un peu moins de 10 000 personnes en sont membres.

Un récent documentaire de CityNews (en anglais), qui porte sur l’ECFP, a mis en lumière les allégations portées par d’ancien·nes membres qui ont été séparé·es de leurs proches suivant les principes de la « doctrine de séparation ». L’ECFP réfute ces allégations en plus de nier être une « secte ». Le leader de l’Église est Bruce Hales, de Sydney en Australie, selon le site Web du groupe.

Dans une réponse à PressProgress, l’ECFP déclare que « désigner l’ECFP de secte est tout simplement faux », avant d’ajouter : « Nous ne sommes pas une organisation secrète, mais nous sommes souvent mal compris. »

Les noms de plus d’une dizaine d’individus ayant chacun versé des milliers de dollars au groupe tiers Canada Growth Council (CGC) selon Élections Canada sont aussi listés au registre des membres de la branche canadienne des Frères de Plymouth, auquel PressProgress a eu accès.

Ces documents suggèrent qu’au moins treize donateurs canadiens liés à l’ECFP auraient donné un total de 37 000 $ au CGC en l’espace de 48 heures. La majorité des dons aurait été versée la même journée.

Le Canada Growth Council se décrit comme un « groupe d’individus déterminés qui en ont ras le bol de la propagande anti-croissance, des groupes militants financés par l’étranger et de l’absence de voix fortes qui défendent la libre entreprise et la prospérité au Canada ».

« Nous visons certaines circonscriptions dans le cadre des prochaines élections fédérales, » avait expliqué le CGC à PressProgress en 2019, ajoutant qu’il visait aussi tout·e « député·e ou candidat·e » qui « ne donne pas son appui aux industries (de l’Ouest), à notre vision ou qui préfère se rallier à l’agenda de Justin Trudeau qu’à ses propres électeurs ».

Une double page de publicité achetée par le CGC dans le Globe and Mail | Photo : Michael Polanyi (Twitter)

Le CGC a fait installer des publicités sur des panneaux d’affichage, dont celles qui appelaient les électeur·trices à ne pas réélire l’ancien ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile Ralph Goodale, en plus d’acheter des publicités pleine page dans le National Post et dans le Globe and Mail.

Le CGC a aussi financé la diffusion de publicités à la télévision, sur les médias sociaux et par la poste.

Des publicités du CGC sur le site Web du National Post | Photo : WestWatch (Twitter)

De plus, le CGC a financé WestWatch, un groupe qui a financé des affichages publicitaires attaquant des candidats libéraux comme Ralph Goodale, Kent Hehr et Amarjeet Sohi durant la campagne électorale de 2019.

Des liens avec des partis conservateurs et l’industrie pétrolière

En plus de recevoir des dons de membres de l’Église chrétienne des Frères de Plymouth, le Canada Growth Council est aussi financé par des acteurs de l’industrie pétrolière et des proches de partis conservateurs provinciaux.

Shaping Canada’s Future, un tiers publicitaire, a donné 50 000 $ au CGC. En 2017, Shaping Canada’s Future a été constituée en société par Douglas Nelson, le directeur financier de la campagne de Jason Kenney pour la chefferie du Parti conservateur uni de l’Alberta. L’ancien directeur général du parti, Brad Tennant, siège au conseil d’administration de Shaping Canada’s Future. C’est aussi le cas de Peter Kiss, un homme d’affaires albertain nommé au conseil économique de Kenney et donateur du Parti conservateur uni.

De plus, comme le révélait récemment PressProgress, plusieurs membres du conseil d’administration du Canada Growth Council se sont impliqués au Parti saskatchewanais ou ont financé le parti. Craig Lothian, un dirigeant de l’industrie fossile, est aussi l’un des donateurs du CGC et du Parti saskatchewanais.

Un groupe religieux proche des milieux d’affaires

Les noms de plusieurs donateurs du Canada Growth Council listés par Élections Canada correspondent à ceux de directeurs d’églises, d’écoles et d’associations caritatives liées à l’Église chrétienne des Frères de Plymouth.

Keith Prince, président de l’entreprise manufacturière Tillsonburg Tube, serait à l’origine du plus grand don (7500 $) fait au CGC par des individus associés à l’ECFP. Selon les informations de l’Agence du revenu du Canada, Prince est aussi directeur d’une association caritative qui administre une salle de rencontre des Frères de Plymouth située à Tillsonburg en Ontario.

Un autre donateur, Phil Jenner, co-fondateur de Klondike Lubricants, aurait donné 3000 $ au CGC. Des informations indiquent que Jenner siège au conseil d’administration d’une école des Frères de Plymouth située à Surrey en Colombie-Britannique.

Ken Wragge, président de Northridge Electric, aurait fait un don de 2500 $ au CGC. Wragge est directeur d’une salle de rencontre des Frères de Plymouth à Woodbridge en Ontario.

Robertson Construction, une entreprise, a versé un don de 1000 $ au CGC. Son directeur des opérations, Rodney Robertson, aurait lui-même donné 500 $ au CGC. Rodney et Garth Robertson sont les directeurs d’une association caritative qui gère une école des Frères de Plymouth située en Colombie-Britannique.

Dennis Wragge raconte qu’il siégeait au conseil d’administration d’une salle de rencontre de l’ECFP en Ontario, où siège maintenant son fils, Ken Wragge. Aujourd’hui, leurs liens sont rompus.

« En général, les gens qui siègent au conseil d’administration de ces salles de rencontre sont parmi les plus fortunés et les plus influents », confie Dennis Wragge. « Ce sont des individus qui gèrent des entreprises et qui ont de bonnes compétences de leadership. Ça ne veut toutefois pas dire qu’ils sont croyants, loin de là. »

Bien que Dennis Wragge se dise conservateur, il espère que les politiciens conservateurs « éviteront de salir leur réputation » en participant aux activités de l’ECFP. « Ils devraient s’en méfier et s’en tenir très loin. »

Les activités d’affaires sont parmi les principales de l’Église chrétienne des Frères de Plymouth. Bon nombre de ses membres dirigent de petites entreprises et reçoivent l’appui de la Universal Business Team de l’ECFP. Celle-ci est décrite sur leur site Web comme une « entreprise mondiale offrant des services de consultation et de groupement d’achats, de la formation pour entreprises et du mentorat en leadership et en excellence ». La Universal Business Team offre aussi un cours avancé en gestion des affaires visant à préparer les membres de l’Église à travailler dans des entreprises familiales liées à l’ECFP.

Pas une commande venue d’en haut, selon les Frères de Plymouth

PressProgress n’a pas reçu de réponse à ses demandes d’entrevue envoyées à Keith Prince, Phil Jenner, Garth Robertson et Rodney Robertson concernant leurs dons au CGC.

Ken Wragge a dirigé PressProgress vers « leur avocat », Gerald Chipeur, pour toute question.

Chipeur est l’ancien avocat général du Parti conservateur du Canada et est une figure influente au sein du mouvement conservateur canadien. Selon la journaliste Marci McDonald, les Frères de Plymouth ont déjà fait appel aux services de l’avocat de Calgary. Chipeur était aussi le plaignant dans une poursuite intentée en Californie contre le site Web Peebs.net, qui est administré par d’ancien·nes membres et opposant·es à l’ECFP.

Chipeur n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de PressProgress au sujet des dons de Ken Wragge au CGC ni au sujet de sa propre implication au sein de l’ECFP.

Dans un communiqué, l’ECFP dit « ne pas avoir été mise au courant » des dons, mais ajoute que « si un individu souhaite verser un don à une organisation, il est en droit de le faire ». Il n’y aurait pas « d’approbation venant d’en haut », selon ce qu’a dit l’ECFP à PressProgress.

Selon le site Web de l’ECFP, ses membres peuvent faire du lobbying auprès de représentants politiques sur des enjeux « qui touchent la compatibilité des lois et des politiques avec les enseignements de la bible ». Malgré l’existence d’une règle interdisant « les dons à quelque parti politique que ce soit », les membres peuvent exercer « leur droit démocratique de s’exprimer publiquement ou de verser des dons à des politiciens ».

« Pardonnez mon langage, mais c’est de la bullshit », a dit Dennis Wragge à PressProgress.

« Ce sont des experts. D’ailleurs, c’est sans doute un responsable des communications publiques qui a rédigé cette réponse », ajoute Wragge. « Ce sont de belles paroles, mais en vérité, rien, absolument rien ne se passe sans les instructions venant du leader Bruce Hales. Il n’y a pas de place pour l’autonomie individuelle. »

Pas la première campagne politique des Frères de Plymouth

Par le passé, des membres de l’Église chrétienne des Frères de Plymouth ont été impliqué·es dans des campagnes politiques discrètes.

En 2005, le Vancouver Sun révélait que les Frères de Plymouth étaient à l’origine d’une « campagne publicitaire directe, agressive et anonyme s’opposant au mariage gai » et s’opposant au projet de loi C‑38.

L’ECFP a financé une campagne publicitaire sous le nom de Concerned Canadian Parents (Parents canadiens inquiets), un regroupement dont l’adresse postale est celle de la case postale d’une succursale de 7‑Eleven à Toronto.

Selon une enquête du Vancouver Sun publiée en 2005, « James Moore, député conservateur de Colombie-Britannique favorable au mariage gai, a affirmé plus tôt cette semaine que le regroupement “Concerned Canadian Parents” était responsable d’à peu près un tiers des 10 000 courriels, fax et lettres qui ont été envoyés à son bureau de circonscription au sujet du projet de loi C‑38, qui a été adopté par la Chambre des communes le mois dernier.

Des membres de l’Église chrétienne des Frères de Plymouth ont passé des mois sur la colline parlementaire à s’entretenir avec des députés et rencontrer des comités. Environ 30 membres, dont dix femmes portant le voile, étaient dans la tribune du public le jour où le projet de loi a été adopté. »

L’ECFP gère aussi une association caritative du nom de Rapid Relief Team, qui a fait la controverse en collaborant avec des services de police canadiens.

Après que le journal Winnipeg Free Press se soit penché sur les allégations comme quoi l’ECFP « était passée d’un regroupement religieux à une véritable secte », l’ECFP a publié une réponse en 23 points accusant le journal de faire une représentation « fausse, inexacte et trompeuse » des allégations.

Dans une foire aux questions qui a depuis disparu de son site Web, l’ECFP niait les allégations de manière plus détaillée.

Cet article est d’abord paru en anglais sur PressProgress. Traduction par Miriam Hatabi.

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