
Au Mexique : « On est en train de considérer le lithium comme le nouveau pétrole »
La décision du président mexicain de nationaliser les réserves de lithium en avril ne garantira pas forcément une meilleure consultation de la population, selon des organismes.
François Legault n’est pas le seul à avoir l’œil sur « l’or blanc » : le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a nationalisé, en avril dernier, la ressource, décrétée « patrimoine de la nation ». Mais une incertitude demeure quant aux retombées économiques, sociales et environnementales pour le pays.
L’industrie privée et les compagnies étrangères ne pourront plus exploiter de nouveaux gisements de lithium au Mexique, selon l’amendement apporté à la loi minière mexicaine, le 20 avril dernier, qui nationalise les réserves de ce minerai. Considéré stratégique pour la transition énergétique, le lithium est utilisé notamment dans la construction de batteries des voitures électriques.
Initiative du président AMLO du parti de gauche populiste Movimiento Regeneración Nacional (Morena), la loi déclare la ressource comme « patrimoine de la nation » et stipule que le lithium et les minéraux qui l’accompagnent ne doivent être exploités par l’État que dans l’intérêt du peuple et pour garantir sa souveraineté énergétique. Une nouvelle institution publique sera ainsi créée pour gérer les contrats d’exploitation du minerai.
« C’est un geste symbolique » soutient Aleida Azamar Alonso, chercheuse au département de production économique à l’Universidad Autonoma Metropolitana (UAM) à Mexico. « On voit que l’exploitation de nos ressources naturelles est en train de se réguler de façon institutionnelle », constate-t-elle, à l’inverse de ce qui s’est fait historiquement en Amérique Latine.
Or, ces ressources, dont les minéraux, appartiennent déjà au peuple mexicain, selon la constitution de 1917. Ce qui change, c’est de voir que la loi minière peut effectivement être réformée, selon la chercheuse.
Exploitation possible sans investissements étrangers?
La quantité exacte et la qualité du lithium présent sur le territoire mexicain demeurent inconnues. « Seulement 30% du territoire a été exploré par l’industrie minière. Il y a donc un énorme potentiel pour trouver des gisements de diverses ressources », soutient Aleida A. Alonso. Ce qui explique l’engouement des compagnies minières déjà présentes et celui d’AMLO pour la nationalisation. Des données du US Geological Survey datant de 2021 estiment les réserves de lithium du Mexique à 1,7 million de tonnes, parmi les dix plus grandes au monde.
La chercheuse A. Alonso demeure toutefois sceptique quant à la capacité de son pays à extraire la ressource. « Le président se base sur la Bolivie qui a nationalisé le lithium [en 2008]. Mais ils n’ont pas pu développer cette industrie, parce qu’il leur manque l’expérience et la technologie pour le faire », nuance la docteure en économie politique et développement. Le pays andin a dû continuer à faire affaire avec des compagnies étrangères pour assurer l’exploitation de la ressource. « On est en train de considérer le lithium comme le nouveau pétrole, mais c’est plus de la rhétorique entrepreneuriale que vraiment représentatif de la réalité », estime-t-elle.
Le président mexicain, lui, souhaite s’associer avec l’Argentine, la Bolivie et le Chili, pays dits du « triangle du lithium », pour partager l’expertise.
Un minerai pas vraiment vert
« Que ça soit public ou privé, ça ne fait pas de grande différence », croit pour sa part le géographe Yannick Deniau, joint dans l’État d’Oaxaca. Membre du collectif Geocommunes, dont le travail est de créer des cartes des exploitations minières, il œuvre à la diffusion d’information auprès des communautés via le Réseau mexicain de personnes affectées par l’industrie minière (REMA).
Pour lui, la manière dont on opère les mines est « très agressive », contrairement à ce que laisse croire la réputation du lithium, perçu comme une solution de rechange « verte » aux énergies fossiles.
« Les mines d’extraction de lithium sont à ciel ouvert », rappelle Deniau, qui souligne que son extraction déforme les territoires et requiert énormément d’eau, alors même que les gisements se trouvent souvent dans des endroits extrêmement arides.
Comme dans l’état de Sonora, dans le nord du pays où se situe le plus grand gisement de lithium du Mexique, exploité par la minière chinoise Ganfeng Lithium, fournisseur de la compagnie Tesla, qui détient les droits d’exploitation de 50% des gisements de lithium dans le monde.
Dans la région, la sécheresse s’est accélérée ces dernières années à cause de divers projets miniers, et des bouleversements climatiques, qui ont affecté le rythme des pluies, selon M. Deniau. Ainsi, plusieurs communautés manquent d’eau, sans parler du contact prolongé avec des métaux lourds, qui, libérés lors du processus d’extraction, sont à l’origine de problèmes de santé.
Qui plus est, une hausse de violence s’observe depuis quelques années dans cet état, ce qui n’est pas étranger à l’exploitation minière dans la région, selon Yannick Deniau. « À partir du moment où il y a de l’argent en jeu, ça augmente la présence du crime organisé » affirme le géographe, alors que ces groupes négocient des droits de passages avec les compagnies minières. Et ce sont les populations qui se retrouvent entre les feux croisés.
Le REMA craint que la nationalisation ne rime pas forcément avec une meilleure consultation des populations.
« Le décret continue d’encadrer légalement le saccage, la dépossession des communautés, la destruction de la nature et les graves dommages à la santé qu’occasionne jour après jour l’industrie minière au Mexique », peut-on lire dans un communiqué datant du 29 avril 2022.
La nationalisation face au libre-échange
Qu’adviendra-t-il des concessions déjà accordées aux compagnies étrangères? Le président López Obrador a annoncé que ces contrats seraient révisés, mais le Mexique demeure lié par des traités de libre-échange qui pourraient l’en empêcher. « Plusieurs concessions étaient à des compagnies canadiennes. Si nous les retirions, nous serions en violation de l’Accord Canada- États-Unis-Mexique (ACEUM) », explique la professeure Aleida A. Alonso.
Du côté des minières canadiennes actives dans le lithium au Mexique, une seule a répondu à nos demandes d’entrevue. Dans un échange de courriels, le PDG de Silver Valley Metals Corp, Brandon Rook, admet : « Notre projet a été impacté et nous prenons des actions légales pour rectifier la situation ». La compagnie, dont le siège social est à Vancouver, a trois projets en cours au centre du Mexique. Le méga-projet de la minière Ganfeng Lithium à Sonora devrait être maintenu et produire 35 000 tonnes du minerai à partir de 2023.
Reste à voir comment l’entité publique octroiera les futurs contrats. « Est-ce que l’autodétermination des communautés sera respectée? Que fera-t-on si un projet requiert davantage d’eau que ce que peut offrir la communauté sans avoir à s’en priver? », s’interroge Aleida A. Alonso.
Si on se fie à un rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur les métaux stratégiques datant de 2021, la demande mondiale de lithium, elle, devrait continuer de grimper.