
Vie de GO en Floride : soleil, plage, salaire qui stagne et moisissures
Suite de notre enquête au Club Med. Encore? Eh oui, encore… Il faut dire qu’il y a beaucoup à raconter sur les pratiques du tout-inclus dès lors qu’on s’intéresse aux conditions de travail. Cette fois-ci, direction Sandpiper Bay, en Floride.
Au Club Med de Sandpiper Bay, en Floride, la paie des Gentils organisateurs (les GO, employés à l’animation) n’a pas suivi l’augmentation du salaire minimum, a appris Pivot. De plus, la multinationale du tout-inclus applique de façon créative la loi sur la rémunération des heures supplémentaires.
En janvier, Pivot publiait une enquête sur les conditions d’embauche au Club Med de Charlevoix. La traduction anglaise de cet article, publiée par nos collègues de Press Progress, a été partagée dans un groupe Facebook d’ex-employé·es de l’entreprise. Deux femmes, qui ont travaillé au village de Sandpiper Bay, nous ont contactées pour raconter leur histoire.
Alex* et Chantale ont travaillé pour le Club Med entre 2018 et 2021. Alex y a passé un peu plus d’un an et sa collègue y a travaillé un peu moins de deux ans durant cette période. « Quand j’ai vu l’article, je me suis dit que c’était vraiment ça que j’avais vécu », nous dit Alex, « je me demandais d’ailleurs pourquoi personne n’en avait parlé avant! »
Elles ont toutes les deux travaillé comme animatrices au Mini Club, le Club Med pour les enfants. L’horaire officiel était de 8 h 50 à 17 h, 6 jours par semaine. Ensuite, elles devaient être prêtes à 18 h 20 pour souper et faire des activités avec les enfants jusqu’à 20 h.
À l’occasion, elles étaient assignées au Pyjama Club, où des animatrices et animateurs gardaient les enfants jusqu’à tard le soir.
« C’était beaucoup plus que 40 heures », affirme Alex. « Le moins que j’ai fait [sur une période de 6 jours] c’est 57 heures », précise-t-elle.
Comme dans les autres villages de l’entreprise, ces heures ne comprennent pas la fameuse vie de village, c’est-à-dire l’obligation de dîner, souper, prendre l’apéro avec les clients et animer la piste de danse. À Sandpiper Bay, les GOs étaient obligées de demeurer au bar jusqu’à 22 h 30.
Une paie qui n’a pas suivi la hausse du salaire minimum
En 2018, le salaire minimum était de 8,25 $ de l’heure en Floride. Il a été augmenté à 8,46 $ de l’heure en 2019 et 8,65 $ de l’heure en 2020.
Rachel Arnow-Richman, professeure de Droit à l’Université de Floride et spécialiste en droit du travail, explique que les entreprises établies aux États-Unis doivent respecter les lois fédérales et les lois applicables de l’État où elles exercent leurs activités. La Floride dispose d’une loi sur le salaire minimum, mais les heures supplémentaires sont encadrées par la réglementation fédérale. Et celle-ci stipule que, sauf exception, le travail dépassant 40 heures doit être payé à taux et demi.
La législation en Floride
En Floride, il existe des situations qui permettent de payer un·e employé·e sous le salaire minimum. Par exemple, pour une personne de moins de 20 ans durant les 90 premiers jours de son emploi. Le salaire est également revu à la baisse pour les étudiant·es à temps plein.
Il existe également une catégorie d’employé·es classés comme « exempt » des obligations entourant la rémunération des heures supplémentaires. Ce sont habituellement des professionnels ou des cadres. Et, rappelle la professeure Arnow-Richman, « il est important de noter que la notion de professionnel est étroitement définie ». Elle explique qu’il peut s’agir normalement d’un professionnel avec un diplôme, un cadre supérieur, ainsi qu’un professionnel des arts ou du spectacle. Ceci n’est pas le cas des GO qui nous ont contactées.
En tenant compte des déductions en vigueur en Floride (pour les impôts notamment), pour 40 heures de travail, c’est environ 1238 $ US par mois que ces travailleuses auraient dû gagner en 2018 et 1268 $ US en 2019.
Si on refait ces calculs pour une semaine de 57 heures, on arrive à un revenu mensuel net de 1987 $ US en 2018 et 2034 $ US en 2019.
Le salaire qu’elles ont reçu est bien loin du compte : 750 $ US et un bonus de 100 $ US.
Durant leurs divers séjours, le salaire est demeuré le même, malgré l’augmentation du salaire minimum.
Des heures supplémentaires non rémunérées
« Oh mon Dieu, non ! » nous dit Alex en s’esclaffant, lorsqu’on lui demande si toutes les heures travaillées étaient rémunérées.
Selon Chantale, les heures supplémentaires étaient rémunérées seulement si les heures travaillées dépassaient 52 heures dans une semaine. Elle et sa collègue ont d’ailleurs rapporté que le seuil d’heures minimum pour obtenir le paiement des heures supplémentaires augmentait chaque année. « On nous a dit que c’était parce que nous étions des employées salariées », se remémore-t-elle.
Sur ce point, la professeure Arnow-Richman explique que même si certains employés salariés sont considérés comme exempts, pour celles et ceux qui ne le sont pas « le fait d’être salarié ne change rien. »
En d’autres termes, un employeur ne peut pas échapper à son obligation de payer les heures supplémentaires simplement en rendant un employé salarié plutôt que payé à taux horaire. »
Rachel Arnow-Richman
Olivier Rozier, Vice-Président Ressources Humaines Club Med Nord-Amérique, a répondu par courriel à nos questions concernant la rémunération : « Le Club Med tient à rappeler qu’il respecte toutes les lois locales sur la protection du travail, y compris la rémunération et les heures supplémentaires. Nous sommes attachés au bien-être, à la protection, au développement et à l’épanouissement de tous nos collaborateurs, et continuerons à veiller à mettre en place toutes les actions nécessaires pour aller en ce sens. »
De la moisissure dans les chambres
Les deux GOs qui ont contacté Pivot ont fait état de problèmes de moisissures dans les chambres des GOs. « Quand quelqu’un appelait la réception pour signaler un problème, ils envoyaient quelqu’un mettre de la peinture par-dessus », nous a dit Chantale. Pivot a pu consulter des photos et vidéos prises par les ex-employées qui montrent des taches noires présentes sur les murs et la bouche du système de ventilation.


Interrogé sur cette question, Olivier Rozier, Vice-Président Ressources Humaines Club Med Nord-Amérique affirme que « chaque année [les chambres] sont contrôlées par un organisme extérieur qui émet un rapport. Si dans l’intervalle, nous remarquons un problème dans une chambre, notre équipe technique sur place intervient rapidement ».
Nous avons interrogé le Club Med sur les montants prélevés aux GO du village de Sandpiper Bay sur leurs paies pour l’hébergement. Mais l’entreprise n’a pas voulu nous répondre, au motif qu’il s’agit d’informations confidentielles. Le responsable des Ressources Humaines assure que « sur le sujet du room and board nous appliquons les directives de Floride, du ministre du Travail US ».
Selon la loi en vigueur dans cet État américain, un employeur peut charger un coût « raisonnable » pour le logement qu’il fournit à ses employé·es. Rachel Arnow-Richman explique qu’on entend par raisonnable un montant « équivalent au coût réel pour l’employeur (qui n’inclut donc pas de profit). Par exemple, un employeur ne pourrait habituellement pas charger le coût d’une chambre d’hôtel au même prix que pour ses clients ».
*Les noms des GO ont été changés.
Pivot s’est donné pour mission de redonner au journalisme son pouvoir de transformation sociale. Nous racontons les histoires qui comptent, les récits laissés dans l’ombre, à la périphérie de la presse mainstream.
Vous pouvez nous aider à poursuivre notre mission.
La manière la plus directe de nous encourager, c’est de vous abonner à Pivot. Votre argent nous sert à payer les salaires de notre équipe de 4 personnes, les cachets que nous versons aux journalistes pigistes, notre site web, un petit bureau partagé à Montréal, les centaines de recherches de Sam Harper sur le site du Registre foncier du Québec pour débusquer les affaires louches en matière de logement (oui, il faut payer pour ça) et… c’est essentiellement ça!
Vous ne désirez pas vous abonner tout de suite? Une autre manière tout aussi valable de nous encourager, c’est de partager nos articles sur les réseaux sociaux : Un texte de Pivot vous a fait réfléchir? Faites circuler l’information!