Thibault Carron | Pivot
Nouvelle

Budget fédéral : un impôt de pandémie pour faire payer les banques (mais pas trop)

La mesure fiscale extraordinaire aurait pu viser toutes les entreprises qui ont fait des profits records durant la pandémie, ont souligné des analystes.

Le nouveau budget fédéral cible les entreprises financières qui ont fait d’importants profits durant la pandémie : elles devront payer davantage d’impôts pour contribuer à essuyer les coûts de la crise sanitaire. Toutefois, les mesures fiscales annoncées par le gouvernement Trudeau sont plus timides que ce qui avait été promis en campagne électorale : elles rapporteront deux fois moins d’argent que prévu.

La ministre des Finances Chrystia Freeland a présenté jeudi le nouveau budget fédéral pour 2022-2023. De manière générale, il s’agit d’un budget modéré, ont remarqué plusieurs analystes. Différentes mesures sociales sont proposées (logement, santé, etc.), mais elles auraient pu être plus ambitieuses pour répondre aux besoins actuels, remarque-t-on.

Le budget prévoit notamment deux mesures fiscales pour aller chercher un peu plus d’argent dans les coffres des grandes banques et compagnies d’assurance-vie. Ces entreprises financières devront payer un impôt spécial pour contribuer aux dépenses extraordinaires causées par la pandémie. De plus, leur taux d’imposition sera légèrement augmenté, de manière permanente.

Des mesures similaires figuraient déjà dans la dernière plateforme électorale du Parti libéral. Cependant, selon cette plateforme, les grandes entreprises financières auraient dû contribuer à hauteur de 10,5 milliards $ sur quatre ans. En fin de compte, les mesures budgétaires annoncées jeudi ne permettront de récolter que 4,8 milliards $ sur la même période, soit deux fois moins d’argent.

Rappelons que la pandémie a coûté plus de 350 milliards $ au gouvernement fédéral, selon les chiffres présentés dans le budget.

Un impôt spécial à portée limitée

Comme promis, les banques et les assureurs-vie devront payer un impôt exceptionnel de 15 % sur leurs revenus qui ont dépassé un milliard $ en 2021. Cette mesure rapportera 4 milliards $ d’ici cinq ans.

« Les grandes institutions financières du Canada ont engrangé d’importants profits pendant la pandémie et ont récupéré plus rapidement que d’autres parties de notre économie, en partie grâce aux mesures fédérales d’aide aux personnes et aux entreprises », peut-on lire dans le budget.

Les entreprises financières ont en effet profité indirectement de l’aide versée à leurs clients, qui ont continué à faire leurs paiements et à rembourser leurs dettes malgré la crise. De plus, les banques ont bénéficié d’un soutien financier fédéral pour réduire leurs risques au début de la pandémie. Elles ont aussi tiré profit de la crise immobilière, qui aggrave l’endettement des ménages.

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Mais les banques et les assureurs ne sont pas les seules entreprises à avoir eu des revenus exceptionnels durant la crise de la COVID-19 : c’est aussi le cas des épiceries, des entreprises technologiques ou encore du secteur pétrolier et gazier, remarque David Macdonald, économiste senior au Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Le même constat a été fait par d’autres analystes.

« Ce n’est pas clair pourquoi le gouvernement cible seulement les banques et les compagnies d’assurance », s’interroge David Macdonald. « C’est dommage que ce soit aussi limité. »

« Ça aurait bien sûr été possible d’attraper plus d’entreprises, avec un filet plus grand que celui qu’on voit dans ce budget », insiste-t-il en entrevue.

L’impôt exceptionnel touchera dix entreprises financières. Elles ne représentent qu’une minorité des 51 entreprises qui ont fait plus d’un milliard $ en 2021. Les 41 entreprises d’autres secteurs qui échappent à la mesure fiscale ont touché ensemble des revenus atteignant 107 milliards $ l’an dernier.

Le NPD, par exemple, propose depuis longtemps d’exiger un impôt spécial pour toutes les entreprises qui ont profité de la crise. Mais cette idée n’a pas fait son chemin jusque dans le budget, malgré la récente alliance entre les néo-démocrates et les libéraux.

Une modeste hausse d’impôt

Par ailleurs, les banques et les assureurs-vie verront leur taux d’imposition monter de 1,5 %, pour atteindre 16,5 %. En campagne électorale, le Parti libéral avait plutôt promis de hausser de 3 % la contribution de ces grandes entreprises financières.

La mesure rapportera 2 milliards $ sur cinq ans. La plateforme libérale prévoyait 5 milliards $ en quatre ans.

David Macdonald remarque que cette hausse d’impôt, elle aussi, aurait pu être plus sévère ou s’appliquer à toutes les entreprises. « Ce n’est rien d’extraordinaire dans notre histoire d’avoir des impôts en haut de 15 % », signale l’économiste. En effet, au tournant des années 2000, avant les règnes du libéral Paul Martin et du conservateur Stephen Harper, le taux d’imposition des entreprises frôlait les 30 %.

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